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Horace : sa vie et sa pensée à l’époque des Épîtres

par Edmond COURBAUD, (Hachette, Paris, 1914)

 

CHAPITRE II - HORACE ET L'ÉTUDE DE SOI-MÊME


 

V - ÉPITRE 8. A CELSUS.

Période de malaise moral el de mécontentement de soi-même.


 

LES épîtres à Tibulle et à Torquatus ne nous renseignent qu'assez imparfaitement sur l'état de la conscience d'Horace. Il ne s'y est occupé de lui-même qu'à propos de ses deux correspondants; et ce qu'il en disait, était déterminé par l'intérêt qu'il portait à l'un ou à l'autre. Dans l'épître 8 au contraire, plus d'arrière-pensées ni de considérations étrangères à sa personne. Il se confesse directement à nous et se dévoile tel qu'il est. Par-dessus les épîtres précédentes, cette lettre rejoint la première du recueil, dont elle est comme une continuation.

La crise morale se poursuit. On se rappelle qu'Horace, écrivant à Mécène, lui annonçait sa résolution de se consacrer à la philosophie et lui donnait à entendre, avec les ménagements nécessaires, qu'il s'y consacrait tout de bon. La lettre respirait la confiance en soi, le contentement de l'homme qui a pris son parti. Pourquoi est il triste maintenant, quand il écrit à Celsus ? A-t-il eu quelque mésaventure de propriétaire rural ? Est-il comme Volteius Menas, cet ancien citadin changé en campagnard, qui s'aigrissait au moindre dommage atteignant, son bétail ou sa récolte (1) ? Non. Il n'a point à se plaindre du sort; ses vignes n 'ont pas été hachées par la grêle, ni ses oliviers brûlés par le soleil ; ses moutons ne sont pas tombés malades dans les montagnes lointaines où ils vont pâturer pendant l'été (v. 4-6). Il est triste, parce qu'il est mécontent de lui-même. Il déclare qu'il ne vit ni sage ni heureux: multa et pulchra minantem Vivere nec recte nec suaviter (v. 2-3). Et il ne vit pas heureux, parce qu'il ne vit pas en sage. C'est l'âme, chez lui, qui est malade ; la cause de sa tristesse est tout intérieure.

Voici qui est plus grave. Non seulement il ne fait pas de progrès dans le bien, mais il se dit peu disposé à en faire. Des deux manières de se former à la sagesse, l'enseignement donné par autrui et la lecture suivie de réflexions personnelles, il n'accueille ni l'une ni l'autre; il ne veut rien entendre, rien apprendre (ni audire, ni discere, v.8); il repousse les remèdes de la philosophie, il s’irrite contre ses amis qui s'efforcent de l'arracher à sa langueur funeste. Bien plus encore : il ne se borne pas à fuir ce qu'il croit pouvoir lui être utile, il recherche ce qui lui a toujours nui. Et ce pitoyable état se résume dans le grand défaut par lequel l'âme est punie d'avoir abandonné l'étude de la sagesse : l'inconstance. Il est ventosus, mobile comme le vent (v.12). A Rome il regrette Tibur ; à Tibur il est épris de Rome. Il n'est plus capable de mettre d'accord ses sentiments, ses volontés, ses actes. L'inconstance est signe d'anarchie ; c'est le mal suprême. C'est par ce trait qu'il termine la peinture de son désarroi actuel.

Sachons-lui gré de ses aveux qui mettent à nu une plaie secrète. Cette sincérité exempte d'étalage rend sa personne morale attrayante. Il y trouve, en outre, cet avantage, que, parlant de lui sans fard, il peut parler des autres librement. Or l’épître 8 contient deux parties très distinctes, d'étendue très inégale, dont la seconde, de moitié plus courte, est consacrée aux affaires de Celsus et à la façon dont Celsus doit savoir supporter sa fortune (2). Je n'ai pas à m'occuper ici de Celsus, que nous retrouverons dans le chapitre suivant. Mais dès maintenant établissons le lien des deux parties ; il est précisément dans la franchise avec laquelle s'exprime le poète. Horace s'est traité assez rudement, pour avoir le droit d'avertir un jeune homme et de lui donner un conseil, même sévère.

S'il fallait, en terminant, adresser un reproche à l’auteur, ce serait d'avoir péché par excès de franchise; il s'est calomnié. Qu'il constate l'absence en lui ou la lenteur des progrès, soit : c'est un fait sans doute. Mais qu'il s'accuse de ne pas vouloir améliorer son état, c'est contre quoi proteste sa confession tout entière. Trahirait-elle ce malaise, cette inquiétude, cette détresse, s'il n'avait déjà quelque obscure volonté de réagir ? Serait-il si mécontent de lui, s'il n'était près de chercher à se corriger ? « Tu ne me chercherais pas ; pourrait lui dire la Sagesse, si tu ne m'avais trouvée, – si tu n'étais au moins sur le point de me trouver. »

De la tiédeur qui se satisfait, de l'indifférence béate, rien de bon à attendre. Mais du tiède qui se désole et se désespère, il y a beaucoup à espérer. Celui-là est sur le chemin du salut, les moralistes chrétiens le savent bien.


 
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— NOTES —

(1) Ep. I, 7, 86-88.
 
(2) Exactement cinq vers (13-17) contre dix dans la première partie (3-12). Je laisse de côté les deux vers d’introduction.



 

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