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Horace : sa vie et sa pensée à l’époque des Épîtres

par Edmond COURBAUD, (Hachette, Paris, 1914)

 

CHAPITRE II - HORACE ET L'ÉTUDE DE SOI-MÊME


 

XI - ÉPÎTRE 16. A QUINCTIUS.

La pièce maîtresse du recueil : le bonheur fondé sur la vertu. Le vrai et le faux honnête homme.
Horace et le stoïcisme : ce qui l'en rapproche, ce qui l'en distingue.
Le dialogue de Bacchus et de Penthée, sommet de la pensée du poète. Conclusion.


 

AU point où nous en sommes, il semble qu'Horace soit arrivé au terme de sa route. Le calme, il le possède ; le bonheur, il en jouit. Il n'a plus rien à souhaiter. – Quelque chose encore cependant, la vertu. Et c'est son honneur d'y avoir, une fois au moins, aspiré. La morale des Satires n'était souvent que la morale de l'intérêt bien entendu. « Fuyons les passions, disait-elle ; l’avarice, l'ambition, la gourmandise, la débauche nous apportent plus d'inconvénients que d'avantages. » Sagesse profitable à coup sûr ; mais ce n'était pas le bien pratiqué pour lui-même, et uniquement parce qu'il est le bien ; elle enseignait le bonheur plutôt que la vertu. Dans les Épîtres mêmes, si déjà nous avons pu noter la préoccupation du bien moral, nous n'avons pas encore trouvé la vigoureuse affirmation que le bonheur n'est rien sans la vertu, ou du moins sans l'effort vers la vertu. Nous la trouvons dans l'épître 16 à Quinctius, et c'est ce qui fait de cette lettre la pièce par excellence, la pièce maîtresse du recueil. Oderunt peccare boni virtutis amore (v.52), déclare maintenant le poète. Qu'est-ce à dire, sinon qu'il ne faut pas considérer la vertu seulement comme une bonne affaire? Elle possède par elle-même une telle puissance d'attrait, un tel rayonnement que, pour celui qui en a la claire vision, la seule récompense doit être la joie de la servir, en tout désintéressement.

Ce degré suprême de l'évolution morale, Horace l'atteindra dans la mesure où il se rapprochera du stoïcisme. Jusqu'ici, l'on ne saurait prétendre qu'il eût subi l'influence exclusive d'une philosophie déterminée ? On se souvient que dans la première épître à Mécène il ne se prononçait définitivement ni pour la doctrine du plaisir ni pour celle de la vertu. Sans doute il avait à ce moment-là ses raisons particulières (1) ; mais plus tard il continue d'avoir une raison générale, c'est que pratiquement l'une et l'autre doctrine, sur certains points, sur ceux précisément qu'il abordait, étaient peu éloignées de se valoir. Le plaisir, selon Épicure (2), n'est pas la grossière satisfaction des sens; il est surtout négatif : il consiste à ne pas souffrir. Pour éviter la souffrance, l'homme prudent, le sage, donne prise le moins possible sur lui. aux événements du dehors ou aux passions du dedans; il se fait humble, petit, cache sa vie avec soin; il se fait tempérant et modéré en toutes choses ; il n'a pas de désir, tout désir étant douloureux; bref il tâche d'arriver à cette possession de soi-même, où tendait par une autre voie le sage selon le stoïcisme. Donc, à ne chercher que le simple bonheur, il était inutile de se déclarer nettement pour l'αταραξια ou l'απαθεια, puisque, par l'absence de trouble ou la répression des passions, c'était toujours par la tranquillité de l'âme que les deux écoles vous menaient au bonheur. Mais si l’on est difficile sur la qualité de ce bonheur, si l'on croit même qu'il faut, pour que la sérénité soit entière, non point en faire le résultat d'un calcul bien compris, mais l’avoir conquise de haute lutte dans la soumission à un idéal, à une loi supérieure, au devoir, s'il faut opter en un mot, alors c'est vers le stoïcisme qu'une âme bien née devait se porter, inévitablement.

Ainsi Horace, écrivant à Quinctius, était dans des dispositions morales qui l'élevaient au-dessus de lui-même. De là une épître où il n'y a plus trace de l'ironie qui lui était familière ; il laisse ce demi-sourire dont il accompagnait ses conseils ; partout un ton grave et sérieux, dont la gravité même va croissant vers la fin, pour trouver sa plus noble expression dans l'admirable dialogue de Bacchus et de Penthée. Il est probable que, si l'on était à même d'identifier ce Quinctius et de le mieux connaître (3), quelque détail de sa vie montrerait comment la lettre lui est appropriée ; pas plus que les précédentes, celle-ci ne doit être une dissertation en l'air; les vers 17-24 notamment semblent bien renfermer une leçon directe à l'adresse du destinataire, dont la figure n'est peut-être si effacée que parce que des allusions nous échappent (4). Seulement Horace passe bientôt, comme il en a l'habitude, du particulier au général (5), je dirai même : plus complètement qu'il n'en a l'habitude ; car d'ordinaire, après avoir généralisé, il redescend vers le personnage qui lui a fourni l'occasion de sa pièce. Cette fois, ce qu'il a à dire est d'une telle importance qu'il en oublie son ami. Comme il sent tout le prix de son effort moral, c'est à l'ensemble de ses lecteurs qu'il veut communiquer le fruit dernier de ses réflexions: il termine sa lettre en se maintenant au plus haut.

Cependant, ne l'oublions pas, il est parti du concret, de lui-même ou de son correspondant. Quoique ses idées aient été méditées depuis plus ou moins longtemps, il a voulu attendre une circonstance pour les exposer. Et quand il les expose, il évite de donner du premier coup dans le vif de son propos: sa vieille répugnance à dogmatiser l'en empêche. La morale n'arrivera que par un biais, pour ne pas effaroucher tout d'abord ; et il commencera par parler de sa maison de campagne. Ce début a étonné. Scaliger s'en plaint : Ubi rus descripsit, exilit temere (Horatius) ad discutienda praecepta sapientiae (6); il ne s'est pas rendu compte de la manière du poète. Encore faut-il pourtant que cette introduction au sujet soit bien une préparalion à la leçon morale, qu'elle nous y achemine, qu'elle serve à créer l'atmosphère où évoluera ensuite la discussion. Nous verrons un peu plus tard si la condition est réalisée ; et s'il existe un lien, et quel lien, entre les deux parties dont se compose la pièce, Voyons, pour l'instant,ce que sont les deux parties en elles-mêmes.

D'abord la description de la villa. Elle est faite à un point de vue nouveau. Il n'est presque plus question du bien-être moral qu'on trouve à vivre aux champs, au milieu de la nature apaisante et conseillère de sagesse (7), Horace n'insiste que sur le bien-être physique que la campagne lui procure, sur la salubrité de ce coin de vallée, qui rend bien portant (incolumem) celui qui l'habite (v.16), salubrité de l'exposition, de l'eau, de l'air. Une source y coule, pure comme celles des plus hautes montagnes, souveraine contre le mal de tête et les mauvaises digestions (8). La température reste fraîche en été et permet de passer sans encombre les heures accablantes de septembre (v.16). La vallée, orientée du nord au sud, reçoit du côté droit le soleil à son lever, tandis que le côté gauche retient la lumière vaporeuse du soleil (9) ; mais comme elle est étroite, au point que les hauteurs qui la bordent semblent à distance se rejoindre, l'astre brûlant ne peut y régner en maître incontesté, et l'un des deux versants est toujours rempli d'ombre. L'ombre, c'est le trait par lequel le poète ouvre et clôt sa description (10) ; dans les pays du Midi c'est en effet la chose rare et appréciable entre toutes. Ombre des contreforts montagneux, ombre des arbres, des chênes et des yeuses, verdure abondante, à croire que Tarente a été transportée dans la Sabine avec tout son feuillage (v.10-11), nous avons l'impression que la retraite est délicieuse et que son charme tient surtout à sa fraîcheur.

Cette avantageuse situation de sa villa, Horace s'excuse de la décrire tout au long, en propriétaire bavard (loquaciter, v.4), – si bavardage il y a, lorsqu'une description ne dépasse pas une douzaine de vers. Quant aux revenus de ses terres, évidemment il aime mieux n'en point parler; car ne mentionner, en fait de productions, que la prunelle, la cornouille et le gland (v.8-10) – prunelles et cornouilles avaient beau donner des baies qui, une fois confites, remplaçaient les olives (11), le gland avait beau permettre l'élevage du porc, – on avouera que c'est par trop insuffisant, quand il s'agit d'un domaine, dont une partie pouvait à elle seule nourrir cinq métayers avec leurs familles, et dont le reste, pour être cultivé, nécessitait l'emploi de huit esclaves (12). Dès le début de l'épître, il se hâte d'esquiver en les prévenant, des questions importunes : « Ne me demande pas, dit-il à Quinctius – et par delà Quinctius, c'est aux lecteurs curieux qu'il s'adresse (13), – si j'ai des champs de blé, des champs d'oliviers qui enrichissent leur possesseur, des vergers, des prairies, un vignoble (v.1-4). Et il donne à entendre qu'il n'a rien de tout cela. Il rabaisse l'importance de sa propriété. Pourquoi ? Est-ce crainte qu'on ne s'en fasse une idée exagérée ? Est-ce prudence, pour désarmer l'envie, toujours prête à poursuivre ce qui s'élève ? Ou encore, la foule ne pouvant croire que le bonheur ne vienne pas de l'opulence, est-ce pour démontrer à sa manière que « ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux », que ce bonheur dont on lui demande le secret, c'est à la fois peu de chose,et chose difficile à acquérir, chose en tout cas que ne donne aucun des soi-disant biens auxquels s'attache le vulgaire ? Il ne faut rien de plus pour le posséder, mais rien de moins, que la santé de l'âme et la santé du corps : mens sana in corpore sano. Horace n'aime tant sa campagne que parce qu'elle le place dans les meilleures conditions d'hygiène morale et physique qui l'aideront à obtenir l'une et l'autre. Le vers 15 qui termine le morceau : hae latebrae dulces et, iam si credis, amoenae, résume ce double avantage (14). Ce qui nous déroute un peu c'est que des deux parties, l'âme saine et le corps sain, il a surtout développé la seconde et à peine indiqué la première : caprice de cet esprit, un des plus amis de l'imprévu qui aient existé. Parfois il donne plus qu'on n'attendait, mais parfois aussi il donne moins; à nous de suppléer à ce qui manque. Ce qui manque ici, d'ailleurs, avait été déjà développé bien des fois.

La position de la villa décrite en manière d'introduction, Horace aborde son véritable sujet. Ce sujet, c'est l'hypocrisie; Tartufe en fera les frais. Combien de gens trompent leurs semblables par les apparences ! Combien accaparent une réputation, des éloges, des honneurs, auxquels ils n'ont aucun droit ! Quelle distance souvent entre l'être et le paraître : esse atqae videri ! Constatant que le plus honnête homme selon l'opinion du monde est loin de l'être toujours au regard de sa conscience, Horace est amené à chercher une définition de l'honnête homme, et c'est en la cherchant qu'il s'élève sur ces sommets de la morale où il rejoint le stoïcisme. Tel est le plan général. Comment est-il mis en œuvre ?

Nous passons sans transition de la première partie à la seconde, de l'introduction au sujet: on sait avec quelle liberté notre auteur en use à cet égard. Les deux parties sont juxtaposées; elles se heurtent même assez violemment dans un choc de pronoms personnels : tu est jeté en tête du vers 17 pour s'opposer au me du vers 16. « J'ai fini en ce qui me concerne semble dire Horace, après qu'il a décrit sa villa ; à ton tour maintenant, Quinctius, d'être mis en cause. » Et la morale commence. – Si cette morale vise Quinctius, elle ne contient pas cependant une peinture dont tous les traits doivent lui être appliqués ; elle est plutôt un avertissement à l'ami, de ne pas mériter qu'on les lui applique. Il a bonne réputation; Horace ne prétend pas qu'elle est usurpée. Qu'il veille seulement à ce qu'elle soit toujours justifiée à ses propres yeux. « Tu vis comme il faut, lui écrit le poète, si tu t'efforces d'être réellement ce qu'on dit que tu es (v.17). Esse quod audis, cette formule devrait être une règle universelle de conduite. Prenons une comparaison. A quoi sert de faire bonne contenance à table devant les convives et de se raidir en leur présence, déguisant une fièvre qui vous mine (v.22-23) ? Ne vaudrait-il pas mieux aller trouver le médecin et lui montrer cette plaie secrète qu'on cache par une fausse honte ? De même pour celui qui, malgré sa belle apparence, est moralement malade, le vicieux qui fait illusion. Quelle sottise, quel aveuglement de s'entêter dans la dissimulation plutôt que d'aller consulter le philosophe! C'est bien une preuve de plus à l'appui de la doctrine, que le mal vient de l'ignorance et le vice de la folie : Slultorum incurata pudor malus ulcera celat (v.24).

Mais si le malade ne s'estime pas malade, à force d'entendre répéter qu'il est bien portant? s'il en croit les autres, qui lui vantent sa bonne constitution ? – Là est le danger: se fier à la foule. Quinctius ne commet-il pas un peu cette faute ? (v.19) La foule ne va jamais au fond des choses ; elle juge sur ce qu'elle voit et se paye de ce qu'on lui montre. S'en rapporter à elle, non à soi, c'est risquer d'emboîter le pas à l'erreur. Il importe donc de bien se persuader que le bonheur n'est pas dans l'opinion extérieure, mais dans la vertu personnelle, qu'il ne dépend pas d'autrui, mais du sentiment intime de ce que l'on vaut. Supposons que quelqu'un s'avise, pour louer Quinctius, de l’appeler guerrier valeureux sur terre et sur mer, il ne voudra pas d'un titre, qui lui semblera justement ne pouvoir convenir qu'à Auguste. Mais s'il permet qu'on l'appelle homme sage, homme irréprochable, répondra-t-il davantage, en autorisant ces éloges, à des noms qu'il mérite (15) ? Là est toute la question.

Certes, il est agréable d'être loué par le peuple (16). Seulement, si ce même peuple vous blâme, accepterezvous aussi ses reproches ? Vous le devez, en bonne règle, puisque vous l'avez érigé en juge de la vertu des citoyens. Or rien n'est plus changeant que le peuple; il ôte les faisceaux, sur un soupçon, comme il les a donnés, par caprice (17) ; ses louanges sont d'un jour ; demain, vous le sage d'hier, il vous traitera peut-être de voleur, de débauché, de parricide (v.36-37). La conclusion ? C'est qu'il n'y a pas plus à être blessé de ses outrages. gratuits qu'à s'enorgueillir de ses éloges mensongers, et que celui-là seul s'émeut et change de couleur, qui a quelque tache ou quelque infirmilé à cacher (v.38-40).

Cette idée d'hypocrisie, qui revient, conduit Horace à faire entre le vrai et le faux honnête homme les distinctions nécessaires. Qu'est-ce que l'honnête homme ? vir bonus est quis ? (v.40). Cette interrogation nous met au cœur de l'épître, car c'est ici que se marque la plus grande opposition avec les jugements populaires. Pour la foule, l'honnête homme est le citoyen respectueux de la loi, l'arbitre qui tranche avec autorité les procès le répondant ou le témoin dont la parole fait foi, bref l'homme « légalement correct » (18). Mais en lui-même, que vaut-il ? La foule n'a cure de le savoir ; il lui suffit, je l'ai dit, que les dehors soient recommandables ; elle ne s'inquiète pas de la moralité intérieure. Cela explique que tant de gens se contentent de paraître ce qu'ils ne sont pas, au lieu de s'efforcer à être ce qu'ils paraissent, et que la vie sociale soit le triomphe de la tartuferie. Horace prend un de ces hypocrites, pour le marquer au front d'un trait incisif (19). Le personnage s'est emparé de l'estime publique ; tout le forum, les juges sur leur tribunal le contemplent avec respect. Quand il sacrifie aux dieux un porc ou un bœuf: « O Janus, O Apollon, » s'écrie-t-il bien haut, de manière à être entendu ». Puis tout bas : « Belle Laverne, donne-moi d'échapper aux regards, de paraître juste et pur ; couvre d’un nuage mes fourberies et sur mes crimes étends une nuit épaisse » (20).

Au rebours du vulgaire, le sage perce les apparences. Non seulement n'est pas honnête homme à ses yeux celui qui n'a qu'une façade brillante, derrière laquelle il abrite des actions honteuses (introrsum turpis, speciosus pelle decora, v.45), mais ne l'est pas non plus, nécessairement, celui-là même qui n'a point commis de fautes. L'honnêteté réside dans l'intention, non dans l'acte. Si donc l'on ne s'abstient du mal que pour n'avoir pas trouvé une occasion de mal faire ou, ce qui est plus habituel, par crainte d'être puni, on n'a encore aucun droit au titre de vir bonus. De là ce dialogue entre l'esclave et le maître : « Je n'ai point volé. – On ne te battra pas : ce sera ta récompense. – Je n'ai point tué. – Bien, tu ne seras pas mis en croix. – Je suis honnête et probe. – Oh ! pour cela, c'est une autre affaire ; » et le philosophe de la Sabine refuse d'en convenir (21) . Il lui faut en effet quelque chose de plus, qu'il formule dans le beau précepte, d'inspiration stoïcienne, que j'ai déjà cité: « L'honnête homme fait le bien, parce que c’est le bien, – par seul amour de la vertu (v.52). »

Déroulons les conséquences du précepte. Si l’honnête homme déteste le mal pour lui-même, il le détestera toujours, en toutes circonstances, à tous les degrés : il le détestera, même léger, même insignifiant. « Sur mille mesures de fèves tu ne m'en as dérobé qu'une; moindre est le dommage, mais non moindre la faute. » (22) Qu'il y ait encore ici une inspiration stoïcienne et un souvenir du paradoxe οτι ισα τα αμαρτηματα il ne me paraît guère possible de le nier, quoi que dise M. Lejay (23). Horace a dû songer au dogme de l'égalité des fautes. Seulement, avec son ferme bon sens, il n'en a pris que ce que les gens raisonnables peuvent avouer. Un paradoxe n'est parfois que l'exagération d'une idée juste: il a gardé l'idée juste et rejeté l'exagération.

Quelle est l'idée juste ? Que l'intention seule fait la faute, et non l'acte lui-même. Il y a donc des cas où les fautes sont égales devant la conscience, même si les conséquences qui en résultent sont extrêmement inégales. N'est-ce pas ce que dit Horace ? « Tu ne m'as volé qu'une mesure sur mille, parce que tu pensais ainsi cacher mieux ton larcin. C'est la crainte du châtiment qui t'a retenu. Si tu avais eu l'espoir d'échapper, tu aurais volé le tout. La faute n'est pas moins grave, parce que les circonstances ont restreint le dommage ; damnum est, non facinus, mihi pacto tenius isto, v.54-56 » – Quelle est l'exagération ? De proclamer, comme font les Stoïciens avec leur outrance coutumière, d'abord que toutes les fautes sont toujours égales, puis de ne vouloir jamais tenir aucun compte, dans le jugement à prononcer, des conséquences de la faute. Aussi de leur principe se déduit logiquement pour eux une égale sévérité dans la répression de toutes les fautes (24). Horace se garde bien de les suivre sur ce terrain. Il a dit; la faute est la même pour une mesure volée ou pour mille. Il n'a pas dit : la peine sera la même. Il sait bien que, dès qu'on passe à la pratique, on se trouve dans le domaine du relatif, qu'on est alors obligé de distinguer les espèces, de peser et apprécier les résultats, et que, si la faute est une en son essence (peccare unum est)(25), les manifestations de la faute comportent des sanctions très diverses.

Ainsi interprété, ce passage ne me paraît nullement en contradiction avec celui de la satire I, 3 qu'on lui oppose (26). Sans doute dans la troisième satire Horace s'était moqué du dogme de l'égalité des fautes; mais dans notre épître l'a-t-il donc accepté tout entier ? D'autre part, la moquerie de la satire portait justement sur le refus des Stoïciens de proportionner les peines aux délits ; le ridicule était de vouloir punir brutalement du fouet ce qui ne mérite qu'un coup de lanière (27). L'Horace des Épîtres n'a pas changé d'avis; sa réprobation est la même pour une conséquence aussi inhumaine : il ne faudrait pas beaucoup le presser pour le lui faire avouer.

Néanmoins les grands côtés du stoïcisme lui inspirent, avec de l'admiration, une sympathie croissante, et sa pensée incline de plus en plus vers la doctrine: la dernière partie de la pièce achèvera de le montrer. Voici, en effet, jusqu'où elle nous conduit : Si l'honnête homme est celui qui pratique le bien pour le bien, sans aucune considération d'intérêt personnel, qui fuit le mal pour le mal, sans chercher à l'acte coupable aucune excuse sophistique, enfin qui fait ce qu'il doit faire, uniquement parce qu'il le doit, il ne dépend plus de personne. Et ne relevant que de lui-même, il peut se dire à tout moment, il peut dire au tyran qui le menace : « Je suis libre ». Il a conquis ce que donne seule l'obéissance au bien moral, à savoir la liberté, bien suprême. Il va de soi que, par la satisfaction du devoir accompli, il a aussi conquis le bonheur.

Telle est la conclusion à laquelle, en définitive, nous aboutissons ; conclusion toute stoïcienne. Mais ce serait mal connaître Horace que de le croire soucieux d'y arriver par un développement régulier; il a sa manière à lui de développer, qui ne ressemble à aucune autre; et ce n'est pas toujours au plus grand profit de la clarté. Ici la pensée s'exprime successivement par une opposition et une comparaison, qui ne laissent pas d'être obscures à certains égards, entre l’homme libre et l'homme cupide (v.63-66), entre l'homme cupide et l'esclave (v.67-72).

Certes l'opposition introduite est, en soi, des plus naturelles; mais comment se rattache-t-elle à l'idée précédente ? Jusque-là il était question du faux honnête homme ; or le cupide n'est pas nécessairement un hypocrite, il peut être tout le contraire; et celui que nous présente Horace ne songe pas à se cacher; c'est ostensiblement qu'il se baisse, pour ramasser un sou que les enfants se sont amusés à sceller dans le pavé de la rue (v.64). Une idée intermédiaire a donc été sous-entendue et doit être restituée. Après avoir montré que c'est folie de chercher son bonheur dans l'opinion d'autrui, Horace avait à nous dire que ceux-là ne sont pas moins fous qui le placent dans l'âpre poursuite de l'argent. Il ne l'a pas dit; une fois de plus, il a négligé la transition.

Quant à la comparaison de l'homme avide avec un esclave (28) (en l'espèce un prisonnier de guerre), là encore rien que de naturel et même de banal. Il est évident que tout homme qui cède à ses passions devient leur esclave, comme celui qui, par sa lâcheté, a été vaincu dans un combat, devient esclave de l'ennemi. En particulier l'homme avide porte la marque caractéristique de l'esclavage, la crainte; il craint parce qu'il désire ; il tremble de ne point posséder ce qu'il convoite, et la crainte anéantit pour lui l'espoir d'être jamais libre : qui metuens vivet, liber mihi non erit unquam (v.66). L'exemple, fondé sur cette maxime, se comprend de soi-même. Mais quand on en vient aux détails de la comparaison, le rapport entre les deux termes cesse d'être aussi clair. « Ce prisonnier dont j'ai parlé, vous pourriez le mettre à mort ; les droits de la guerre vous y autorisent. Laissez-le vivre, dit Horace, et vendez-le plutôt comme esclave. Qu’il aille aux champs retourner le sol, ou sur mer affronter les tempêtes; qu'au prix de mille fatigues il vous rapporte du blé et des denrées de toute sorte; il rendra service. » Quelle relation existe, je le demande, entre le captif qu'on s'est abstenu de tuer pour en faire un laboureur ou un marchand, et le cupide dont la passion ne peut être assouvie ? Celle-ci cependant, sur laquelle Horace n'a pas insisté autant qu'il convenait : l'insatiable s'extermine comme l'esclave. Il est vrai que l'esclave subit une nécessité, il est obligé à peiner sans relâche; il a eu la vie sauve, pour être condamné aux plus rudes travaux. L'insatiable n'a été astreint par personne à la tâche d'amasser; mais c'est tout comme, car il s'y astreint de lui-même. « Eh bien ! laissez-le faire lui aussi, et ne cherchez pas, quand même vous le pourriez, à l'arrêter dans sa fureur. Vous désirez qu'il soit puni ? Rassurez-vous : il porte en lui la meilleure des punitions, son vice, qui sera sa torture. » Ce développement qui manque chez Horace, se trouve tout au long dans Sénèque, excellent commentateur une fois encore de la morale de nos Épîtres (29). Horace plus brusque, plus concis, abrège ou omet ce qu'on verra son successeur tourner et retourner en cent manières ingénieuses. Il ne lui déplait point qu'il reste à compléter, à deviner même, pour le lecteur.

La transition n'existe pas davantage avec le morceau final (v.73-79), morceau très court, très soigné, d'un art savant, où rien n'a été livré au hasard : il y a donc bien chez notre poète un parti pris de supprimer les transitions. Celle-ci est aisée, du reste, à rétablir. « Tous les hommes sont plus ou moins esclaves ; ceux qui ne le sont, pas du fait de leur condition, le sont encore du fait de leurs passions. Seul l'honnête homme, le sage, ne le sera jamais, à aucun degré; il a toujours un moyen de rester libre, c'est de mourir. Et il mourra, en effet, plutôt que d'accepter l'esclavage. » Ce tableau de l'homme de bien aux prises avec le maître qui veut l'asservir, on pouvait se borner à le tracer sous une forme générale; mais avec son goût de l'imprévu et son goût du concret Horace nous jette, sans préparation, en pleine parabole et a recours à un exemple précis : il va reprendre à Euripide la mise en scène de Bacchus et de Penthée. A Euripide lui-même ou à quelque intermédiaire latin. Les imitations ne manquaient pas, dans le théâtre romain, des Bacchantes d'Euripide (30), et la prédication stoïcienne, dont s'inspire ici la morale d'Horace, s'adressait de préférence aux légendes qu'avait popularisées la tragédie latine. Mais directement ou indirectement imité, peu importe ; le morceau est admirable et vaut qu'on le cite; jamais Horace ne s'est élevé plus haut. « Penthée, roi de Thèbes, quel indigne traitement me forceras-tu à subir ? – Je t'enlèverai tes biens : – Tu veux dire sans doute : mes troupeaux, mes terres, mes meubles, mon argenterie ? prends, tu le peux. – Je te mettrai des fers aux pieds et aux mains ; je te retiendrai dans une affreuse prison. – A ton aise. Le dieu que je sers, dès que je le voudrai, saura bien me délivrer lui-même. » Il entend par là, ce me semble : « Je saurai bien mourir. La mort est le terme de tout. »

Tel est ce dialogue. La différence entre Euripide et Horace, c'est que chez Euripide le dieu libérateur, dont Bacchus se donne comme le prêtre, c'est Dionysos ou, sous un autre nom, Bacchus lui-même; il se moque des menaces du tyran, parce que sa toute puissance le tirera d'affaire en temps opportun. Dans Horace, la divinité qui délivre, c'est la mort. Il y a là une interprétation tout à fait dans le goût et les habitudes du Portique (31) ; On se rappelle que les Stoïciens se servaient d'Homère et des Tragiques, pour donner à leur doctrine abrupte un air moins farouche. Ils prenaient les fables consacrées et les traitaient comme des allégories. Horace se conforme à la tradition. Déjà dans la satire II, 3 il avait symbolisé en la personne d'Agamemnon, meurtrier de sa fille, la folie de l'ambitieux qui s'emporte au crime et ne craint pas de souiller ses mains du sang même de ses proches (32). Il est vrai qu'alors il faisait parler un stoïcien, Stertinius ; et l'on pouvait croire qu'il s'amusait à parodier les procédés de discussion de l'école. Mais dans l'épître 16, reprenant ces procédés, il parle en son nom ; sa sincérité ne saurait être douteuse. La doctrine désormais le hante ; il fait plus que d'en imiter la méthode (33), il en reproduit jusqu'à l'esprit. Cette résistance de l'honnête homme à l'oppression, ce contraste du sage impassible avec le tyran plein d'une rage impuissante, cette idée enfin que la mort est toujours là comme un asile sûr pour sauver la liberté personnelle en danger, qu'elle est dans toute laforce du terme la grande libératrice, est-il rien de plus stoïcien ? Cicéron, dans ses Tusculanes avait établi que la mort n'est pas un mal. Les penseurs de l'Empire, avec Horace, allaient dire bientôt qu'elle est un bien. Sénèque s'en fait une idée chère et s'y attache désespérément. Les passages, où il invective contre ceux qui lui enlèvent ce suprême recours, sont dans toutes les mémoires, mais ils ont une si belle et si poignante éloquence qu'on peut toujours les entendre: « Il y a des gens, s'écrie-t-il, qui se déclarent des sages et qui vous disent qu'il n'est pas permis d'attenter à sa vie, que c'est un crime de se tuer, qu'il faut attendre l'heure fixée par la nature. Ils ne voient pas, ceux qui parlent ainsi, qu'ils nous ferment le seul chemin qui nous reste vers la liberté. La loi éternelle n'a rien fait de mieux pour l'homme que de lui donner une seule façon d'entrer dans la vie et plusieurs d'en sortir (34) » Et encore : « Quelque part que tu jettes les yeux, tu y trouveras la fin de tes maux. Vois-tu ce précipice ? C'est par là qu'on descend à la liberté. Vois-tu cette mer, ce fleuve, ce puits ? Au fond de leurs eaux se cache la liberté. Vois-tu cet arbre petit, mal fait, stérile ? Là est suspendue la liberté (35). »

Est-ce à dire que ce sombre désespoir est le terme où tendait la pensée d'Horace ? Logiquement, oui. Mais Horace ne se piquait point de logique, et il n'était pas dans sa nature de pousser à bout les conséquences d'une doctrine, quelle qu'elle fût. De plus, il n'avait point passé par le régime politique qui contribuait tant au pessimisme de Sénèque. L'effroyable époque d'un Caligula, d'un Néron, où «l'on vivait le cœur palpitant d'angoisse» (36), familiarisait les esprits avec l'idée du suicide et les amenait à le proclamer comme une nécessité, comme celle de demain, celle d'aujourd'hui peut-être. Mais Horace, eut-il connu ce malheur des temps, n'aurait sans doute pas fait davantage la profession de foi qu'on a lue. En face de situations tragiques, je me le figure plutôt adoptant l'attitude prudente d'un Agricola qu'imitant l'intransigeance d'un Thraséa. Il ne faut donc pas le tirer au stoïcisme plus que de raison : ce serait dénaturer sa physionomie. Il s'est borné dans son épître à indiquer d'un mot : moriar, le point extrême où l'on peut aboutir et il n'a pas insisté, C'est déjà beaucoup pour lui, venu tard à la doctrine et parti de principes opposés, d'être allé aussi loin. L'aimable épicurien se faisant, non pas stoïcien, c'est trop dire, mais assez ami du stoïcisme pour s'approprier certains de ses préceptes, quelle évolution tout de même, quel chemin parcouru depuis les Épodes et les Odes !

Il est redevable de ce progrès à la philosophie, qui est venue compléter. sa morale. Chez lui la morale est, à l'origine, affaire de tempérament ; il évite les excès, parce qu'il est naturellement ennemi des extrêmes. Puis, dès qu'il réfléchit, il s'aperçoit que ce premier mouvement de sa nature est aussi le meilleur et que, par exemple, le plaisir ne dure que si on le ménage. La satire I, 2, sur le choix d'une femme à aimer, prouve à quel point la modération est installée de bonne heure au plus profond de lui-même ; elle le montre portant la raison dans ce qui semble le moins susceptible de raison, l'amour, et à un âge où l'on n'a guère coutume d'être raisonnable, a vingt ans (37). Sa vertu à cette époque, si le mot de vertu peut convenir, est beaucoup moins la recherche du bien que l'habitude de fuir le désordre et le dérèglement, comme choses qui dépassent la mesure. Il est vertueux par goût inné de la pondération et par première expérience. Le résultat de ses études philosophiques a été de le rendre vertueux par principe ; parce que la vertu est bonne et belle en soi, et qu'elle doit être considérée comme une fin, non plus comme un moyen. A sa morale instinctive la philosophie a donc ajouté l'idée du devoir; elle a mis le couronnement à tous ses efforts pour devenir meilleur.

Mais ces efforts n'auraient pas eu aussi vite le succès souhaité, s'ils n'avaient trouvé dans le séjour du poète à la campagne une aide bienfaisante ? Et nous pouvons répondre maintenant à la question que nous nous étions posée au début : Y a-t-il un lien, et quel lien, entre les deux parties de l'épître, entre l'éloge de la villa sabine et la discussion morale ? A vrai dire, le lien logique est peu serré ; mais il y a, M. Lejay l'a bien vu, « une affinité plus intime » – De quoi s'agissait-il en effet dans cette discussion ? De définir l'honnête homme, d'établir que le vrai bonheur est fondé sur la vertu. C'est précisément à la campagne qu'Horace « se ressaisit, qu'il peut réfléchir et travailler à devenir un honnête homme, non selon le monde, mais selon sa conscience. Ces horizons limités et verdoyants, cette fraîche vallée, le murmure de ce ruisseau sont inséparables des apaisantes et sérieuses réflexions du poète. Aussi n'est-ce pas un pur hasard, si dans trois des plus importantes épîtres qui agitent les problèmes de la conduite, dans les épîtres 10, 14 et 16, il a mêlé à ses démonstrations la description de sa campagne : il avait conscience d'une dette à payer. Pour nous, postérité, la petite villa, qui a été réellement une des conditions de son bonheur, demeure étroitement associée à son souvenir ; elle est partie intégrante de sa vie morale. Quand nous nous représentons, non point l'Horace des débuts, celui des belles affranchies et des joyeux banquets, mais l'Horace seconde manière, celui des Épîtres, plus grave et recueilli, ce n'est pas à Rome que nous nous l'imaginons vieillissant en sage, c'est dans sa propriété de Sabine, à l"ombre de ses yeuses et sur les bords de la Digentia.


 
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— NOTES —

(1) voir l’étude de cette épître.
 
(2) Dans l'épître 1, Horace parlait d'Aristippe, non d'Epicure ; mais le plaisir, entendu tel que le conçoit Aristippe lui-même, n'est déjà pas à la portée de tout le monde; résultat d'un choix, il suppose l'intelligence qui a su distinguer le bon, et la force d'âme qui a su s'abstenir du mauvais.
 
(3) Les Quiinctii en effet formaient des branches nombreuses. Le cognomen peut être Cincinnatus, Flamininus, Hirpinus, Crispinus. L. Müller voudrait éliminer tous les Quinctii appartenant à l'aristocratie romaine, et il s'appuie sur l'épithète optime (v. 1) qui, selon lui, ne s'applique pas à un homme de haute condition (p. 122 et 123) : argumentation peu fondée. - On s'accorde d'habitude, sans preuve décisive pourtant, à voir dans le destinataire de l'épître le Quinctius Hirpinus auquel fut dédiée auparavant l'ode II, 11.
 
(4) Il en est ainsi de certaines odes; elles ne semblent d'abord que des lieux communs, et le resteraient, si parfois le hasard ne nous révélait le fait contemporain qui donne un sens particulier au développement général et rend la vie à une banalité. Exemple: l'ode IV, 9, adressée à Lollius. Nous ne comprendrions pas la vivacité singulière que met Horace à développer des idées rebattues sur le pouvoir de la poésie si nous ne connaissions les circonstances de la composition. Le poète a cru, en exaltant ce pouvoir, défendre un ami injustement attaqué et l'aider à tenir tête à une opinion publique malveillante; le lieu commun est de l'actualité. J'y reviendrai à propos de l'épitre 18.
 
(5) A partir du v. 40 Quinctius est entièrement laissé de côté. La discussion n'e vise plus que l'humanité tout entière.
 
(6) Poet., I. VI c. 7, p. 337 (éd. de 1561, in-folio.)
 
(7) Cf. les épîtres 10 et 14.
 
(8) v. 12-14. Sur cette importance de la question de l'eau pour Horace, voir le chapitre intitulé « La conversion d’Horace » (début).
 
(9) v. 7. Le verbe vaporet est quelquefois traduit par couvrir de vapeurs (Orelli-Mewes, p. 431, fin de la note 5-7); il s'agirait alors des vapeurs du soir, au crépuscule. Le sed du v. 6 me paraît appeler un autre sens; c'est un correctif des mots opaca valle. La vallée reçoit des hauteurs voisines une ombre épaisse, mais non pas au point qu'elle manque de soleil tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, selon les heures. On y trouve donc fraîcheur et tiédeur à volonté, en changeant de versant. De là vient peut-être qu'Horace a pu dire ailleurs qu'on n'y souffrait point du froid en hiver (est ubi plus tepeant hiemes, Ep. I, 10, 15), - Vaporet se traduira par échauffer. S'y ajoute-t-il encore cette nuance de poussière lumineuse qui caractérise l'effet d'un coucher de soleil après une belle journée? Ce serait sans doute supposer qu'Horace a eu l'œil plus sensible qu'il n'est vraisemblable aux impressions pittoresques.
 
(10) v. 5-6 : opaca valle; v. 15: latebrae... amoenae.
 
(11) Colum. XII, 10. 3.
 
(12) Ep. I, 14, 2-3; Sat. II, 7, 118 (malgré les doutes de Lejay, ouv. cit. p.579.
 
(13) Quinctius, en effet, doit savoir à quoi s'en tenir. L'épithète de optime (v.1) suppose une certaine intimité avec Horace, donc au moins quelque connaissance de la villa du poète.
 
(14) Dulces, agréables au cœur, qui font du bien moralement; amoenae, agréables à la vue, verdoyantes, où l'être physique se repose.
 
(15) v. 25-31. - Respondesne tuo, dic sodes, nomine? Quinctius est comme le soldat ou le citoyen qui, à l'appel du général ou du censeur répondent: présent. Tuo nomine, c'est «répondre à un nom qui soit bien le tien et non pas le nom du voisin ». Ton nom est-il réellement celui de sapiens, que la foule vient de prononcer? N'est-il pas plutôt celui de stultus?
 
(16) v. 31-32 : Nempe vir bonus et prudens dici delector ego ac tu n'est pas une objection de l'interlocuteur (en ce cas il y aurait at). C'est Horace encore qui parle; il ne fait une concession que pour l'annuler aussitôt.
 
(17) v. 33-35. - Le peuple, à vrai dire, n'ôtait pas les magistratures. Cela signifie-t-il qu'après avoir fait de tel ou tel un préteur, le peuple n'en fera pas plus tard un consul, ou bien qu'après avoir paru se déclarer d'abord pour un candidat, il se tournera ensuite contre lui ?
 
(18) Lejay, éd. petit in-16, p. 511.
 
(19) Si Horace se sert de l'expression vir bonus (v. 57), c'est qu'elle est prise successivement en deux sens différents. Nous avons affaire ici au vir bonus selon le monde.
 
(20) v. 57-62. Ce thème des vœux coupables a été souvent exploité dans la littérature postérieure; Ovide et le marchand à la fontaine de Mercure (Fast. V, 681), Sénèque (Ep. 10, 5), Perse (II, 9), Pétrone (88, 8), Lucien (Icaroménippe, 25).
 
(21) 46-19. Renuit negitatque Sabellus. Deux sens de Sabellus : ou les hommes graves, de mœurs sévères, comme les Sabins, ou lui, Horace, à cause du bien qu'il a en Sabine. Mais les deux sens sont ici fondus ensemble : Horace, devenu Sabin par sa propriété, est aussi devenu un Sabin au moral. - Sur la réputation d'honnêteté des paysans Sabins, sorte de paysans du Danube en leur temps, cf. Cic. ad Fam. XV 20, 1.
 
(22) v. 55-56. Ces vers soulèvent un certain nombre de difficultés au point de vue de l'établissement du texte (voir L. Müller, qui se les exagère peut-être); mais le sens en tout cas n'est pas douteux.
 
(23) Lejay. éd. petit in-16, p. 512 et 516, n. 6.
 
(24) Sévérité draconienne, au propre. C'est le même crime, d'après Horace (Sat. I, 3, 115-117) de briser quelques têtes de choux dans le champ du voisin ou d'enlever la nuit dans un temple les objets sacrés. Dracon confondait précisément ces deux fautes dans une peine identique (Plut., Solon, 17).
 
(25) Cic., Parad., III, I, 20.
 
(26) Sat. I, 3, 115-117.
 
(27) Sat. I,3, 119.
 
(28) On remarquera chez les auteurs anciens la fréquence de ces comparaisons tirées de l'esclavage. L'esclave, en effet, est comme un repoussoir qu'on a toujours devant les yeux; et cela, au point de vue de la morale, a eu son bon et son mauvais côté. L'avantage c'est qu'une certaine distinction s'est maintenue dans les mœurs; on tâchait à conserver intact ce liberale ingenium dont on était fier. L'inconvénient, c'est qu'il s'en est suivi un grand mépris du travail, que l'on considérait comme œuvre servile et qu'on abandonnait aux esclaves.
 
(29) Notamment Ep. 115, 16-17.
 
(30) Les Bacchantes d'Accius par exemple, ou le Penthée de Pacuvius.
 
(31) M. Lejay dit (éd. petit in-16, p. 517 n. 10): " Cette façon d'intervenir pour interpréter une belle phrase stoïcienne, marque une légère ironie» ? Il n'y a point d'ironie, et il ne s'agit pas d'interpréter une phrase stoïcienne. Il s'agit d'interpréter une phrase d'Euripide, et c'est le fait même d'intervenir qui est conforme à la manière stoïcienne.)
 
(32) Sat. II, 3, 199-223
 
(33) Influence de l'argumentation stoïcienne : dans les interrogations employées comme procédé de discussion (v. 31, 38, 40), dans les questions avec qui interrogatif adverbial (v. 63 qui melior servo, qui liberior), dans les définitions (v. 40, 43). Naturellement ces procédés ne sont pas aussi fréquents que dans la satire II, 3 où Horace imitait un véritable sermon stoïcien.
 
(34) Sen., Epist., 70, 14.
 
(35) Sen., de lra, III, 15, 4.
 
(36) Sen., Epist., 74. 2 palpitantibus praecordiis vivitur.
 
(37) Il devait avoir plus près de 25 ans que de 20. Voir la date probable dans Cartault, ouv, cit., p. 51.



 

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