ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 

CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

III, 9
 
– Tant que j’étais dans tes faveurs
Et qu’autour de ton cou si blanc tu ne laissais
Aucun rival poser ses bras,
Je vivais plus heureux qu’un souverain de Perse.
 
– Tant que ta flamme pour une autre
Ne brûla pas, et que Lydie aux mille noms
Après Chloé ne passait pas,
Je vécus plus en vue qu’Ilia la Romaine.
 
– Chloé la Thrace est ma maîtresse,
Savante en mélodies et bonne cithariste,
Pour qui sans crainte je mourrais
Si les destins devaient l’épargner en échange.
 
– D’un feu mutuel je me consume
Pour Calaïs le fils d’Ornytus de Thurium,
Pour qui je mourrais bien deux fois
Si les destins devaient l’épargner en échange.
 
– Si Vénus sous un joug d’airain
Vient unir comme avant nos deux cœurs séparés,
Si l’on renvoie Chloé la blonde
Et que la porte s’ouvre à Lydie répudiée ?
 
– Bien qu’il éclipse tous les astres,
Bien que tu sois toi-même plus léger que le liège,
Plus violent que l’Adriatique,
Avec toi j’aimerais vivre, avec toi mourir.

• TRADITION

Dialogue entre Horace et Lydia qui se réconcilient après une brouille.

• OBJECTION

Puisque le partenaire masculin n’est pas nommé, comment peut-on jurer qu’il s’agisse du poète ? Sinon, qui est-ce ? Lydia est-elle la même que ses homonymes des Odes ? Sous la surface idyllique, ne se cache-t-il pas une profonde disparité de sentiments entre les deux protagonistes ?

• PROPOSITION

Mécène retombe derechef dans les filets de Terentia.

• JUSTIFICATION

Une fois de plus, les lecteurs sont mystifiés. Avec des nuances diverses, chacun croit à une classique scène de réconciliation, qui vaut par la délicatesse de l’observation et ce mélange si subtil de sensibilité et d’ironie qui fait le propre d’Horace. Or, il s’agit de bien autre chose : c’est la complète capitulation d’un homme devant une femme qui ne l’aime pas et qu’il avait voulu quitter, mais vers laquelle une passion maladive le ramène invinciblement.
Examinons les choses. D’emblée, sur un ton dolent, il avoue son amour (beatior, 4), tandis qu’elle se plaint aigrement d’une blessure d’amour-propre (clarior, 8). Il essaie ensuite d’attiser sa jalousie en lui assurant qu’il donnerait sa vie pour Chloé, mais c’est elle au contraire qui, en clamant sa passion incendiaire pour Calaïs, l’amène à déposer les armes. D’une voix soumise et anxieuse (il n’ose même pas dire je), il lui sacrifie Chloé (excutitur, 19 est un violent reniement, avec sa triple dent : secouer une chaîne, jeter dehors, chasser du cœur) et la supplie de revenir. La fine mouche y consent, mais sans renoncer pour autant à son amant ! La condition reste certes implicite, mais ressort assez naturellement de la comparaison qu’elle fait entre celui-ci et son interlocuteur. Or, une telle situation correspond exactement à celle que nous décrit Sénèque à propos de Mécène : « Voici l’homme qui épousa mille fois sa propre femme » (Lettres à Lucilius, 114, 6). Tout concorde. Les trois fois où Lydia est apparue dans les Odes (I, 8 ; 13 ; 25), nous avons pu l’identifier à Terentia. Le fétichisme de la nuque suggéré aux v. 2-3 répète la scène « primordiale » de I, 5, déjà rejouée en II, 12 (v. 25-26), sans illusions désormais, car l’« Enfant » de I, 5 a laissé place à l’« Enfant » de I, 13, ce puer furens que l’on retrouve ici sous le masque de Calaïs de Thurium. Pseudonyme transparent à un double titre : d’une part parce que Calaïs forme l’anagramme presque parfaite d’Alexis, masque d’Octave dans la deuxième bucolique de Virgile ; d’autre part parce que ce même Octave porta le surnom de Thurinus dans son enfance (Suét. Vie d’Auguste, 7, 1-3). La maîtresse d’un roi rivalise avec la reine même, c’est ce que dit le v. 8, où se lit une anagramme de Livia (uigui… Ilia), femme d’Auguste, lui-même représenté au v. 4 en « roi des Perses », conformément à un symbolisme inauguré dès l’ode I, 2 (v. 51-52). Quant à Chloé, qui rivalise en blondeur avec sa rivale (I, 5, 4), et qu’on savait depuis II, 4 de condition servile (Thressa, 9 le suggère), elle vient justement de traverser les Odes : c’était en III, 7, et Horace s’efforçait de persuader Gygès–Mécène de la préférer à l’infidèle Astérie qui était non moins infatuée d’Enipée que Lydia l’est ici de Calaïs.
Astérie, Pyrrha, Licymnia, Lyké, Lydé, Pholoé, Glycère, etc… : Lydia aux mille noms, vraiment, en même temps que de grand renom (v. 7), grâce à une liaison adultère qui n’existe par définition que si elle est mariée. D’où ses paroles mielleuses.

 
 
 ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 
[ XHTML 1.0 Strict ]  —  [ CSS ]