ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 

HORACE &... DIDEROT

— Denis Diderot (1713 - 1784) —

 

TRADUCTION LIBRE du COMMENCEMENT de LA PREMIÈRE SATIRE D'HORACE

Qui fit, Maecenas, etc.
 
Dites-moi donc pourquoi ce bizarre animal,
L'homme, dans son état, se trouve toujours mal ?
Qu'il tienne cet état ou de la circonstance,
Ou de son propre choix, c'est la même inconstance.
Quel est de son éloge un éternel sujet ?
Quel est de son envie un éternel objet ?
Le sort de son voisin. Des travaux de la guerre
Le soldat accablé, jetant son casque à terre,
S'écrie avec douleur : Heureux le commerçant !
Tandis que celui-ci, consterné, gémissant,
Dit en voyant ses jours, ses jours et sa fortune
Livrés à la merci d'Éole et de Neptune
Trop heureux le soldat ! on se bat bravement,
On triomphe ou l'on meurt, c'est le mal d'un moment.
Si le bruit d'un client tiré de sa chaumière,
En ébranlant sa porte, entr'ouvre sa paupière,
De l'avocat alors écoutez le propos:
Ah ! ce n'est plus qu'aux champs qu'habite le repos.
Et le laboureur ? Lui, dédaignant ses charrues,
Pense que le bonheur n'est qu'au coin de nos rues.
Le récit de ces traits pourrait, par sa longueur,
Des poumons de Raynal épuiser la vigueur.
Mais pour en épargner à votre impatience
La liste, écoutez-moi ! voici ce que je pense.
Supposons qu'assourdi de ces vœux insensés,
Jupiter, un beau jour, les a tous exaucés.
Il dit au commerçant: « Empoigne cette épée,
Qu'elle soit dans le sang incessamment trempée ;
Marche sous le drapeau, car te voilà guerrier. »
Au soldat : « De ton front arrache ce laurier.
Tu pars pour Ceylan, le pilote t'appelle;
Vas, et rapporte-nous le poivre et la cannelle;
Te voilà commerçant. » Il dit au laboureur:
« Les champs ne seront plus trempés de ta sueur ;
Tu ne mendieras plus dans ces villes cruelles
Un peu de ce froment que tu semas pour elles.
Endosse cette robe; au voleur opulent,
Au puissant malfaiteur vends ton petit talent;
Je te fais avocat... » « Et toi, prends cette bêche,
Défriche, sarcle, émonde; allons, vite, dépêche,
En parcourant des cieux les ardentes maisons
Le soleil t'avertit des prochaines moissons.
Va nettoyer ton aire, aiguiser ta faucille;
Rassemble sur ton champ, tes valets, ta famille;
Attelle, et que tes bœufs à tirer essoufflés,
Fléchissent les genoux sous le poids de tes blés.
Tu n'es plus avocat. Jupiter te condamne
A quitter pour jamais l'antre de la chicane.
Te voilà gros fermier... Allez donc... Allez tous...
N'êtes-vous pas enfin servis selon vos goûts ?
Partez... Je parle en vain... Ils font la sourde oreille...
Et qui pouvait s'attendre à sottise pareille?...
A quoi tient-il ?... Mais non, calmons notre courroux;
Je les fis tels qu'ils sont, et je les fis bien fous. »
Le dieu sourit, s'éloigne, et dans moins d'un quart d'heure
Revoit des Immortels la paisible demeure,
Jurant qu'à l'avenir ils auront beau prier,
Et jurant, par le Styx, de les laisser crier...
 
Je voulais jusqu'au bout suivre les pas d'Horace ;
Mais le dirai-je ! ici mon guide s'embarrasse.
Son écrit décousu n'offre à mon jugement
Que deux lambeaux exquis rapprochés sottement.
Qu'on doute de la chose, ou que l'on en accuse
De quelque vieux rhéteur la pédantesque muse,
J'abandonne la forme au premier disputant,
Pourvu que sur le fond on m'entende un instant,
La tonne des plaisirs et la tonne des peines,
Vastes également, sont également pleines.
Mais tandis qu'à grands flots l'une verse le fiel,
L'autre, avare, ne rend qu'une goutte de miel.
Savourons cette goutte, et que la triste envie
Cesse par ses poisons d'infecter notre vie.
Soyons heureux chez nous. Ne vîtes-vous jamais
La gaîté sous le chaume et l'ennui sous un dais ?
Souvent. Abjurez donc la sotte conséquence
Qui fixe le bonheur aux pieds de l'opulence ;
Et dites, en dépit du vulgaire falot,
Que les biens et les maux sont notre commun lot.
De son propre fardeau mon épaule pressée,
Ignore le fardeau dont la vôtre est blessée
Suis-je d’un peu de bien devenu possesseur,
L’habitude perfide en détruit la douceur.
D’une peine légère éprouvé-je l'atteinte,
La durée au contraire en aiguise la pointe.
Mais chacun peut se dire, en causant avec soi
Cet ordre du destin n'est-il fait que pour moi ?
Je ne sais ce qui bout dans l'âtre de cet autre ;
Laissons-lui sa gamelle, et vivons à la nôtre.

IMITATION de L'ODE D'HORACE Audivere, Lyce. ( Liv. IV, ode XIII)

Pourquoi troubler encor le calme de la nuit
Par des gémissements, et d'une voix tremblante
Rappeler l'Amour qui s'enfuit
Dans les bras de la jeune Acanthe ?
Lycé, tes myrtes sont flétris ;
L'âge a sillonné ton visage ;
Ton front pâle et tes cheveux gris
Ont effrayé le dieu volage.
 
Laisse, laisse, crois-moi, tous ces vains ornements :
Quitte cet amas de parure
Les perles et les diamants
Ne peuvent réparer l'injure
Que la beauté reçoit des ans.
 
A présent mon cœur est son maître,
Et je ris des soins superflus
Que tu prends à faire renaître
Des agréments qui ne sont plus.
 
Voici le jour de ma vengeance ;
Les dieux comblent mes vœux enfin.
Ces dieux contre ton existence
Tant de fois invoqués en vain.
 
Tu vieillis, et des pleurs que tu leur fis répandre,
Tes adorateurs consolés
Viennent insulter à la cendre
Du flambeau qui les a brûlés.

IMITATION de la SATIRE D'HORACE Olim truncus, eram, etc. Lib. I, sat. VIII

Je n'étais qu'un peu de farine,
Quand le pâtissier, incertain
S'il me figurerait hostie ou petit pain,
M'imprima la forme divine
Qu'avec quatre mots de latin,
Qu'il entend moins qu'il ne devine,
Anima le prêtre Martin.
J'aurais pu, changeant de destin,
Cacheter un poulet, habiller des pilules.
Mais ces usages ridicules
N'auront désormais aucun lieu.
Le « Hoc» est dit; me voilà dieu.

 ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 
[ XHTML 1.0 Strict ]  —  [ CSS ]