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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par M. Anquetil (1850)

ODES III

 
I·À la jeunesse romaine II·À la jeunesse romaine III·Apothéose de Romulus IV·À Calliope V·Régulus VI·Aux Romains  VII·À Astérie  VIII·À Mécène IX·Dialogue d'Horace et de Lydie  X·À Lycé  XI·À Mercure  XII·À Néobulé  XIII·À la fontaine de Bandusie XIV·Au peuple romain XV·À Chloris  XVI·À Mécène XVII·À Ælius Lamia XVIII·À Faune XIX·À Télèphe  XX·À Pyrrhus  XXI·À son amphore XXII·À Diane XXIII·À Phidyle XXIV·Contre les avares XXV·Hymne à Bacchus XXVI·À Vénus XXVII·À Galatée XXVIII·À Lydé XXIX·À Mécène XXX·Épilogue — À Melpomène

Édition "classique" : ≡ modification, censure partielle — ≡ censure totale


 

I — À la jeunesse romaine

Loin d'ici ! je te hais, ô profane vulgaire.
Silence ! écoutez-moi, vierges, adolescents :
Le prêtre des neuf Sœurs sur un mode sévère
Prélude à de nouveaux accents.
 
Aux peuples imprimant une terreur profonde,
Les rois sont asservis au souverain des Dieux,
Au vainqueur des Géants qui fait trembler le monde
Sous son sourcil impérieux.
 
Orgueilleux possesseurs d'un fertile domaine,
Dans vos larges sillons rangez vos arbrisseaux ;
Et vous, ambitieux, descendez dans l'arène
Pour y disputer les faisceaux.
 
L'un à l'autre opposez vertus, clients, naissance :
Hélas ! qui peut du Sort éviter les affronts ?
Faibles, puissants, il frappe, et dans son urne immense
Égale et mêle tous les noms.
 
Sur le front du méchant quand le glaive étincelle,
Des splendides festins qu'importe l'appareil ?
Les accords les plus doux, les chants de Philomèle
Ne lui rendront point le sommeil.
 
Le sommeil ne fuit point le modeste héritage
Où l'humble villageois sait goûter le plaisir,
Ni les riants vallons, ni l'ombre du rivage
Où murmure le doux zéphyr.
 
Pour qui règle ses vœux au gré de la nature,
Qu'importe si les flots sont battus par l' Auster,
Si le Chevreau se lève, ou si l'affreux Arcture
Se précipite dans la mer ?
 
Qu'importe si la terre a trahi sa promesse,
Si la grêle a meurtri la vigne et ses raisins,
Si l'hiver, les torrents, l'ardente sécheresse,
Ont flétri l'honneur des jardins ?
 
Neptune, refoulé par nos digues profondes,
Déjà suffit à peine aux habitants des eaux ;
Des milliers d'artisans jusqu'au milieu des ondes
Vont bâtir des palais nouveaux.
 
Mais la crainte envahit la superbe galère,
Les flots n'arrêtent point les chagrins et l'ennui ;
Et du riche blasé l'humeur atrabilaire
Sur son coursier monte avec lui.
 
Si les marbres taillés au fond de la Libye,
Si la pourpre de Tyr aux ardentes couleurs,
Si les vins de Falerne ou l'encens d’Arabie
Ne peuvent charmer nos douleurs ;
 
Voudrais-je m'ériger, sous les yeux de l'envie,
De modernes palais, orgueilleux monuments,
Et changer ma Sabine et ma paisible vie
Pour l'opulence et ses tourments ?

 

II — À la jeunesse romaine

Romain, sache, aux combats aguerri dès l'enfance,
De l'étroite indigence endurer la rigueur ;
Cavalier redouté, vole et brandis ta lance,
Et que le fier Persan cède à ton bras vainqueur.
 
Sans murmure affrontant les frimas de Borée,
Demeure inébranlable au milieu des hasards ;
Du monarque ennemi que l'épouse éplorée
Tremble en voyant tes coups du faîte des remparts.
 
Pour le royal époux que lui promit son père
Que la vierge soupire et dise en sa terreur :
« Guerrier novice, fuis ce lion sanguinaire
« Qu'à travers le carnage entraîne sa fureur. »
 
La mort est douce et belle à qui sert sa patrie :
Le lâche qui la fuit n'évite point ses traits ;
Et du soldat peureux qui ménage sa vie
Le fer n'épargne point les reins et les jarrets.
 
Insensible aux rebuts, aux affronts du vulgaire,
La vertu resplendit d'honneurs toujours nouveaux,
Et laisse au gré des vents et du flot populaire
L'ambition saisir ou quitter les faisceaux.
 
Pour qui sut mériter de vivre dans l'histoire,
La vertu, se frayant de périlleux chemins,
Ouvre le vaste Olympe, et plane dans sa gloire
Loin de la fange impure où rampent les humains.
 
Un prix sûr est acquis au silence fidèle.
O Cérès, loin de moi qui trahit tes secrets !
Non, non, jamais mon toit ni ma frêle nacelle
Ne deviendront l'abri des mortels indiscrets.
 
Par l'impie outragé, jusque sur l'innocence
Jupiter fait souvent éclater son courroux ;
L'homme a beau devancer la boiteuse Vengeance,
Le crime rarement se dérobe à ses coups.
 

 

III — Apothéose de Romulus

Rien ne saurait du juste ébranler la constance :
Des tyrans orgueilleux les regards menaçants,
Et les commandements que d'un peuple en démence
Dicte la violence,
A fléchir sa vertu demeurent impuissants.
 
De l'Illyrie en vain gonflant la mer profonde,
L'impétueux Autan mugit avec fracas ;
Aux mains de Jupiter en vain la foudre gronde :
Sous les débris du monde
Il périt écrasé, mais il ne tremble pas ;
 
Ainsi par sa vertu l'infatigable Alcide,
Ainsi Pollux, ainsi le valeureux César,
Vers l'Olympe emportés par un essor rapide,
Dans un banquet splendide
Assis parmi les Dieux, savourent le nectar.
 
Divin Bacchus, ainsi ta vertu sans rivale
Mérita d'enchaîner les tigres de l'Indus,
Et de courber leurs fronts sous ta main triomphale ;
A la rive infernale
Ainsi le char de Mars déroba Quirinus.
 
A son aspect, Junon, désarmant sa colère,
Dans le conseil des Dieux prononça ce discours :
« Ilion ! Ilion ! une femme étrangère
« Et d'un juge adultère
« L'iniquité fatale a renversé tes tours.
 
« Mais de Laomédon quand la fourbe insensée
« De leur salaire osa frustrer les immortels,
« Je résolus ta chute, et Minerve offensée
« Jura dans sa pensée
« D'exterminer ton roi, ton peuple et tes autels.
 
« Suborneur impudent d'une reine coupable,
« Paris n'étale plus sa superbe splendeur ;
« Hector ne soutient plus sa famille exécrable,
« Et son bras redoutable
« De mes Grecs belliqueux n'arrête plus l'ardeur.
 
« Nos discords ont cessé, la farouche Bellone
« A suspendu le cours de ces combats sanglants.
« Mon âme à la pitié désormais s'abandonne,
« Et mon courroux pardonne.
« Au fils qu'une Troyenne a porté dans ses flancs.
 
« Son père a triomphé de ma haine mortelle,
« Le fils de la Vestale entrera dans les cieux :
« Dans nos paisibles rangs, divinité nouvelle,
« Je consens qu'on l'appelle,
« Et qu'il boive à longs traits dans la coupe des Dieux,
 
« Oui, pourvu qu'entre Rome et son aïeule impure
« Mugisse un vaste abîme, et que les vils troupeaux
« Puissent impunément d'une race parjure
« Fouler la sépulture
« Et cacher leurs petits au fond de leurs tombeaux :
 
« Qu'ainsi du monde entier l'empire vous console !
« O fortunés bannis, à jamais soyez rois !
« Sur le roc affermis ton brillant Capitole,
« Rome, et qu'à ta parole
« Le Mède obéissant se courbe sous tes lois !
 
« Que ton nom vénéré jusqu'aux bornes du monde
« Imprime la terreur à cent peuples divers ;
« Règne aux lieux où le Nil épand son eau féconde,
« Règne où la mer profonde
« Sépare de Calpé l'Afrique et ses déserts.
 
« Règne sans envahir pour un coupable usage
« L'or qui devait rester inconnu des humains :
« Tes mépris feront mieux éclater ton courage
« Que cette aveugle rage
« Qui le ravit partout de ses profanes mains.
 
« Laisse voler au loin tes aigles intrépides ;
« Le sceptre de la terre est promis à tes vœux,
« Du nord enseveli sous des brouillards humides
« Jusqu'aux sables arides
« Qu'un soleil inclément dévore de ses feux.
 
« Mais sachez à quel prix je veux que la victoire,
« O fils de Quirinus, suive vos étendards :
« N'allez point, de Priam honorant la mémoire,
« Ivres de votre gloire,
« De vos aïeux maudits relever les remparts.
 
« Pergame, renaissant sous un triste présage,
« Verrait Junon contre elle armer son bras vengeur ;
« Et les enfants d'Argos, pour laver mon outrage,
« Au milieu du carnage
« Suivraient de Jupiter et l'épouse et la sœur.
 
« Trois fois des murs fumants de sa ville adoptive
« Phébus voudrait en vain restaurer les débris ;
« Trois fois ils crouleraient, et d'une voix plaintive
« La Troyenne captive
« Appellerait en vain son époux et ses fils. »
 
Mais un sujet si grand convient-il à ma lyre ?
Muse profane, arrête un vol ambitieux ;
Connais mieux ta faiblesse, et, calmant ton délire,
Garde-toi de redire
Sur un luth impuissant les mystères des Dieux.

 

IV — À Calliope

Descends du haut des cieux, et que ta voix brillante,
O reine des neuf Sœurs, seconde mes transports ;
Que la harpe et la lyre et la flûte éclatante,
Calliope, à ton gré vibrent en longs accords.
 
L'entendez-vous ? rêvé-je, épris d'un doux délire ?
Je l'entends, je m'égare aux bords des frais ruisseaux,
Sous de sacrés bosquets où la brise soupire,
Et mêle son murmure au murmure des eaux.
 
Enfant, sur le Vultur, où finit l'Apulie,
Je m'étais endormi, fatigué de mes jeux :
Sous un feuillage épais les oiseaux d'Idalie
S'empressent d'abriter mon sommeil hasardeux.
 
De l'aire où sont posés les remparts d'Acérence
Jusqu'aux sombres forêts qu'habitent les Bantins,
De Vénuse aux vallons de la riche Forence,
Tous présageaient pour moi de merveilleux destins.
 
Du myrte et du laurier les rameaux tutélaires
M'enveloppaient ainsi d'un magique appareil ;
Et, sans craindre les ours ni les noires vipères,
Enhardi par les Dieux, je goûtais le sommeil.
 
C'est vous, Muses, c'est vous qui veillez sur ma vie
Quand je gravis Tibur ou les monts des Sabins,
Soit qu'en ses frais vallons Préneste me convie,
Soit qu'enfin de Baïa je préfère les bains.
 
Vous avez au poète, épris de vos fontaines,
Contre un arbre maudit prêté votre secours ;
De Philippe il a pu fuir les sanglantes plaines,
Et l'affreux Palinure a respecté ses jours.
 
Volontiers avec vous du Bosphore en furie,
Intrépide nocher, j'affronterais les mers ;
Volontiers avec vous de l'aride Assyrie
Mes pas aventureux franchiraient les déserts ;
 
Je verrais sans péril et les Bretons sauvages,
Et les Gélons chargés de leurs traits meurtriers,
Et l'affreux Tanaïs, et ces lointains rivages
Où le Concanien boit le sang des coursiers.
 
Lorsque César vainqueur abrite au sein des villes
Nos bataillons lassés de suivre ses drapeaux,
C'est près de vous qu'il vient, dans vos grottes tranquilles,
Oublier ses labeurs et goûter le repos ;
 
C'est vous qui vous plaisez à verser dans son âme
Les conseils généreux de clémence et de paix.
Le monde sait comment sous les traits de sa flamme
Jupiter des Titans a vengé les forfaits ;
 
Lui dont l'équité plie à ses lois éternelles
Et la terre immobile et les vents et les mers,
Et les vastes cités et les races mortelles,
Et les Dieux de l'Olympe et les sombres enfers.
 
Jupiter cependant trembla pour son empire ;
Contre une horde impie il chercha des soutiens,
Quand il vit ces géants dont l'orgueilleux délire
L'un sur l'autre entassait les monts thessaliens.
 
Porphyrion dressait sa taille menaçante ;
Typhon, le fort Mimas dans les cieux étonnés
S'élançaient à la fois, et de sa main puissante
Encelade jetait des troncs déracinés.
 
Mais quoi ! contre Pallas et sa bruyante égide
Que peuvent les assauts de l'insolent Rhétus ?
Près du maître des Dieux Vulcain reste intrépide,
Et l'auguste Junon combat avec Phébus ;
 
Lui, ce terrible archer dont la chaste Hippocrène
Baigne en son pur cristal les cheveux ondoyants,
Qui soumet la Lycie à sa loi souveraine,
Et Patare et Délos et leurs monts verdoyants.
 
Sous son poids croule ainsi la force sans prudence :
Soumise à la raison, le ciel l'accroît encor,
Cependant qu'il confond la brutale insolence
Dont nul frein ne retient le sacrilège essor.
 
Des saintes vérités dont ma bouche est l'organe
Vous êtes les témoins, toi Gygès aux cent bras,
Toi fameux Orion, dont la chaste Diane
Réprima sous ses traits les impurs attentats.
 
Par la foudre plongés dans l'infernal abîme
La Terre pleure en vain ses monstrueux enfants ;
Sans consumer l'Etna dont la masse l'opprime
Le géant de leurs feux épuiserait ses flancs.
 
Le vautour n'a jamais, acharné sur la proie
Que livre à sa fureur le maître des enfers,
Du lubrique Titye abandonné le foie,
Jamais Pirithoüs n'a pu rompre ses fers.

 

V — Régulus

Si la foudre en grondant au sein de la tempête
Montre que Jupiter règne et commande aux cieux,
Des Bretons et du Parthe au joug courbant la tête,
César par sa conquête
Comme un Dieu sur la terre apparaît à nos yeux.
 
Eh quoi ! servile époux d'une femme étrangère,
O Romains dégradés ! ô honteuses amours !
Dans les champs d'un vainqueur, qu'il a nommé son père,
Par un lâche adultère
Le soldat de Crassus a prolongé ses jours !
 
Des Marses, des Sabins ont oublié leur gloire,
Et la toge romaine, et les saints boucliers !
L'éternelle Vesta s'éteint dans leur mémoire,
Tandis que la Victoire
Au Capitole encor voit briller ses lauriers !
 
Ah ! Régulus voulait conjurer cet outrage,
Lorsqu'il répudiait un traité désastreux ;
Quand, pour servir d'exemple aux Romains d'un autre âge,
Son austère courage
Immolait sans merci des captifs malheureux.
 
« J'ai vu, s'écriait-il en sa douleur amère,
« Aux temples de Byrsa nos drapeaux suspendus !
« Par des enfants de Rome, indignes de leur mère,
« Mes yeux ont vu naguère
« Sans combat, sans trépas des boucliers rendus !
 
« O liberté ! J'ai vu dans leur effroi servile,
« J'ai vu des citoyens se courber sous les fers !
« L'ennemi rouvre en paix les portes de sa ville,
« Et l'Africain tranquille
« Moissonne impunément ses champs longtemps déserts.
 
« Croyez-vous qu'à prix d'or une fois rachetée,
« La jeunesse aux combats signale sa valeur ?
« La ruine est par vous à la honte ajoutée,
« Et de fard humectée
« La toison pour jamais en garde la couleur.
 
« Des toiles du chasseur non sans peine sauvée
« La biche défiera ses épieux et ses traits,
« Avant que dans le sein d'une âme dépravée
« Par la crainte énervée
« La solide vertu daigne habiter jamais.
 
« Saura-t-il exercer d'illustres représailles,
« Ce vaincu dont les fers auront meurtri les bras ?
« Ce lâche que Byrsa, du haut de ses murailles,
« A vu dans les batailles
« Implorer le vainqueur et craindre le trépas ?
 
« Fatal aveuglement ! Du rachat de sa vie
« Un Romain sans combattre a stipulé le prix !
« Ah ! c'en est fait ! Carthage opprimant l'Ausonie
« De notre ignominie
« Triomphe, et va régner sur nos honteux débris. »
 
On dit qu'il refusa de presser sur sa bouche
Et sa chaste compagne et ses jeunes enfants ;
A ses yeux dégradé, son affront seul le touche ;
Et son regard farouche
Au milieu du Sénat reste baissé longtemps.
 
Mais son noble héroïsme et sa mâle éloquence
Ont enfin raffermi les conseils incertains :
Vainement l'amitié gémit de sa constance,
Il rayonne et s'élance,
Glorieux exilé, vers les bords africains.
 
Le héros a prévu quel supplice terrible
Un bourreau lui prépare au fond des noirs cachots ;
Mais aux larmes des siens son âme est insensible,
Et, d'un bras invincible,
Du peuple qui l'entoure il écarte les flots.
 
Après l'arrêt qui vide un procès difficile,
Un patron, s'arrachant à d'importuns clients,
Dans les champs de Vénafre ainsi loin de la ville
Va chercher un asile,
Ou parmi les colons lacédémoniens.

 

VI — Aux Romains

Romains, du ciel vengeur les jugements sévères
Puniront dans les fils les crimes de leurs pères
Jusqu'au jour où vos mains,
De leur cendre exhumant les images divines
Et des temples souillés restaurant les ruines,
Expieront leurs dédains.
 
Rome, à ta piété si tu dois la puissance,
Fais remonter aux Dieux dont tu tiens la naissance
L'honneur de tes travaux.
Les Dieux, prompts à frapper l'ingrat qui les oublie,
N'ont-ils pas déchaîné sur la triste Italie
D'innombrables fléaux ?
 
Oui deux fois Pacorus et ses hordes sauvages
Ont repoussé l'effort qu'en dépit des présages
Tentèrent nos guerriers ;
Deux fois Monèse a vu fuir nos aigles timides,
Et le Parthe ajouter nos dépouilles splendides
A ses étroits colliers,
 
Les peuples de l'lster et de l'Éthiopie
Ont failli, secondés par notre rage impie,
Renverser nos remparts :
L'un qui de ses vaisseaux couvrait l'onde azurée,
L'autre habile à lancer d'une main assurée
Ses redoutables dards.
 
D'un siècle corrompu la licence effrénée
Commença par souiller le lit de l'hyménée
Et l'honneur des maisons ;
La luxure dès lors, en désastres féconde,
Dans le sein de l'État comme une source immonde,
Répandit ses poisons.
 
Nubile à peine, on voit la vierge d'Ausonie
Aux arts voluptueux, aux danses d'Ionie
S'instruire tous les jours ;
Elle maudit les ans qui la font trop attendre,
Et rêve effrontément dès l'âge le plus tendre
D'impudiques amours.
 
Non, non, de tels hymens n'auraient point mis au monde
La race qui teignit les abîmes de l'onde
Du sang carthaginois,
Humilia Pyrrhus et le roi de Syrie,
Et du fier Annibal arrêtant la furie
Le courba sous nos lois.
 
C'étaient les fiers enfants des ces Sabins austères
Instruits à déchirer les champs héréditaires
Avec de lourds hoyaux ;
Qui, soumis à leur mère et rompus à la peine,
Couraient, la hache en main, de l'yeuse et du chêne
Abattre les rameaux :
 
Qui, pliant sous leur faix, revenaient des montagnes
Quand l'ombre s'allongeait sur les vastes campagnes
Au déclin du soleil,
Et qu'aux bœufs délivrés du joug de la charrue
De son char enflammé la clarté disparue
Rendait le doux sommeil.
 
Est-il rien que du temps épargnent les outrages ?
Nos pères n'avaient plus ces vertus des vieux âges,
Orgueil du siècle d'or ;
Et bientôt leurs enfants, race plus criminelle,
Lègueront à la terre une race nouvelle
Plus sacrilège encor.

 

VII — À Astérie  

(ode non traduite)

 

VIII — À Mécène

Aux Calendes de Mars que servent ces guirlandes
Dont un célibataire a rempli sa maison,
Ce vase plein d'encens, ce brasier, ces offrandes
Sur un autel de vert gazon ?
 
N'ai-je pas à Bacchus, cher et docte Mécène,
Promis un doux festin, promis un blanc chevreau ,
Quand d'un arbre maudit la ruine soudaine
Faillit me plonger au tombeau ?
 
Du liége et de la poix qui la tient enfermée
Ma main va délivrer la liqueur que Bacchus
Pour cet anniversaire abreuvait de fumée
Dès le consulat de Tullus.
 
Remplis cent fois ta coupe en ce jour d'allégresse ;
Permets que les flambeaux veillent jusqu'au matin ;
Ne crains point que les cris d'une brutale ivresse
Troublent ce paisible festin.
 
Sur les destins de Rome, ami, sois sans alarmes :
Cotison est tombé sous nos bras triomphants :
Et, tournant contre soi sa colère et ses armes,
Le Mède immole ses enfants.
 
Rome asservit enfin l'indomptable Ibérie ;
Le farouche Cantabre a plié sous nos fers ;
Et désarmant son arc, apaisant sa furie,
Le Gélon rentre en ses déserts.
 
Des périls de l'État ne te mets plus en peine ;
Laisse nos magistrats pourvoir à nos besoins ;
Et, pour goûter les dons que le présent t'amène,
Renonce à d'inutiles soins.

 

IX — Dialogue d'Horace et de Lydie  

(ode non traduite)

 

X — À Lycé  

(ode non traduite)

 

XI — À Mercure

Mercure, ô toi qui vis à tes leçons docile
Amphion remuer les pierres par ses chants ;
Lyre aux sept cordes, toi qui sous l'archet mobile
Produis les sons les plus touchants ;
 
Lyre autrefois muette, aujourd'hui la merveille
Et des banquets du riche et des temples des Dieux,
Résonne et de Lydé captive enfin l'oreille
Par les accents mélodieux.
 
Les tigres, les forêts se pressent pour t'entendre ;
Tu ralentis le cours des rapides torrents ;
Le gardien des enfers est contraint de se rendre,
Vaincu par tes sons enivrants,
 
Cependant sur sa tête, horrible chevelure,
D'innombrables serpents entrelacent leurs nœuds ;
Sa triple gueule exhale une vapeur impure,
Et distille un sang venimeux,
 
Le front de Tityus malgré lui se déride ;
Par tes accords divins distrait de son tourment,
Ixion te sourit, et de la Danaïde
L'urne reste vide un moment.
 
O Lydé, vois le crime et connais le supplice :
Vois ce vase dont l'eau jamais n'atteint les bords ;
Vois les forfaits punis par la lente justice
Jusque dans l'empire des morts.
 
Aux flancs de leurs époux, femmes dénaturées
(Ciel, rien de plus hideux n'a souillé tes regards),
N'ont-elles point plongé les pointes acérées
De leurs sacrilèges poignards ?
 
Une seule, à sa foi noblement infidèle
Mérita d'allumer le flambeau de l'hymen,
Et couronna son nom d'une gloire immortelle
En trompant un père inhumain.
 
« Lève-toi, cria-t-elle ; et fuis de ce repaire
« Où peut la trahison t'endormir à jamais ;
« Trop confiant époux, fuis mes sœurs, fuis mon père ;
« Échappe à leurs affreux projets.
 
« Faibles agneaux livrés à des louves cruelles,
« Mes sœurs dans ce palais égorgent leurs époux.
« Ah! je n'ai point leur cœur pour te frapper comme elles,
« Ni pour te livrer à leurs coups.
 
« Eh! qu'importe pour moi, si j'épargne ta vie,
« Qu'un père sans pitié me courbe sous les fers ?
« Qu'importe qu'un vaisseau, voguant pour la Libye,
« M'exile aux plus lointains déserts ?
 
« Fuis, et sans t'arrêter vole au prochain rivage ;
« Fuis, Vénus te protége et l'ombre et le Zéphyr ;
« Fuis, et sur mon tombeau grave le témoignage
« De ton fidèle souvenir. »

 

XII — À Néobulé  

(ode non traduite)

 

XIII — À la fontaine de Bandusie

Demain je veux mêler, aimable Bandusie,
Un vin délicieux au cristal de tes eaux ;
J'y veux semer des fleurs, et, victime choisie,
T'immoler un de mes chevreaux. En vain, le front gonflé par ses cornes naissantes,
Il prélude en jouant à l'amour, aux combats ;
Demain son sang teindra tes eaux rafraîchissantes,
Demain finiront ses ébats.
 
Du brûlant Sirius tu ne crains point la rage ;
Ton aimable fraîcheur en tes réduits profonds
Repose les taureaux lassés du labourage
Avec les troupeaux vagabonds.
 
Mes chants vont à jamais illustrer ta Naïade,
O fontaine, et l'yeuse aux rameaux verdoyants
Qui couronne la grotte où toujours ta cascade
Précipite ses flots bruyants.

 

XIV — Au peuple romain

Sur les traces d'Hercule, aux dépens de sa vie,
César qu'on nous disait acheter ses lauriers,
O Romains, comme lui, vainqueur de l'Ibérie,
Revient dans ses foyers.
 
Fidèle à ton époux, viens, ô chaste Livie,
Le front ceint du bandeau, remercier les Dieux ;
A nos hymnes sacrés viens, ô tendre Octavie,
Mêler tes chants pieux.
 
O mères des guerriers que nous rend son courage,
Femmes qu'Hymen naguère enchaînait à ses lois,
Enfants, n'outragez point par un triste présage
Ses glorieux exploits.
 
Les noirs soucis fuiront dans ce jour d'allégresse.
Qu’ai-je à craindre, ô César, le fer des assassins,
Qu'ai-je à craindre la guerre, alors que ta sagesse
Préside à nos destins ?
 
Esclave, apporte-moi des parfums, des guirlandes,
Et du vin qui du Marse ait gardé souvenir,
Si dans quelque cellier Spartacus et ses bandes
En laissèrent mûrir.
 
Va dire à Nééra qu'elle vienne sur l'heure,
Nouant ses beaux cheveux, partager mes ébats ;
Si le portier maudit te ferme sa demeure,
Retourne sur tes pas.
 
Ma pétulante humeur fait place à la sagesse,
Mon sang s'est appauvri, l'hiver blanchit mon front ;
Mais au temps de Plancus ma bouillante jeunesse
Eût vengé cet affront.

 

XV — À Chloris  

(ode non traduite)

 

XVI — À Mécène

Dans une tour d'airain, sous des portes solides
Danaé de son père assurait le repos ;
Et des chiens vigilants, sentinelles rigides,
Des nocturnes amants déjouaient les complots.
 
Mais que lui sert de fuir les périls qu'il redoute ?
Jupiter et Vénus confondent ses desseins :
Le Dieu se change en or, assuré que la route
S'ouvrira vaste et libre au maître des humains.
 
L'or, malgré leurs soldats, des rois force l'asile ;
Mieux que la foudre, il fend les rocs les plus épais ;
L'or creusa sous les pas de l'époux d'Ériphyle
L'abîme où sa maison s'engloutit pour jamais.
 
Semé dans leurs cités l'or, bien mieux que la force,
Du Macédonien supplanta les rivaux ;
L'or abat les remparts, et sa trompeuse amorce
Sur leurs flottes séduit les plus fiers amiraux.
 
La fureur d'amasser croit avec la richesse.
Oh ! qu'à bon droit, Mécène, ô noble chevalier,
Jamais je n'ai voulu, démentant ma sagesse,
Pour attirer les yeux, lever un front altier !
 
Pour qui sait maîtriser sa folle intempérance,
Le ciel même se plaît à doubler les plaisirs :
Joyeux et nu, je fuis du camp de l'opulence
Au camp du pauvre exempt d'ambitieux désirs.
 
Dans mon humble réduit mon sort est plus splendide
Que si dans mes greniers, pauvre au sein des trésors,
J'entassais les épis qu'aux rives de l'Aufide
L'Apulien recueille au prix de longs efforts.
 
Un bois de peu d'arpents, une claire fontaine,
Un champ toujours docile aux vœux du moissonneur,
Voilà mes biens ! Jamais dans son riche domaine
Le superbe Africain n'a connu mon bonheur.
 
Si ce n'est point pour moi que la Gaule fertile
De leurs molles toisons revêt ses gras troupeaux,
Que mûrit le Cécube enfermé dans l'argile,
Que du Matin l'abeille explore les coteaux,
 
Du moins je ne crains point l'indigence importune,
Tes dons, pour me combler, n'attendent que mes vœux ;
Mais j'agrandirai mieux mon étroite fortune
En modérant l'essor d'un vol aventureux.
 
Aux états de Crésus pourquoi joindre le Xanthe ?
Qui désire toujours ne possède jamais.
Heureux à qui les Dieux, d'une main complaisante
Au gré de ses besoins, mesurent leurs bienfaits !

 

XVII — À Ælius Lamia

De l'antique Lamus illustre rejeton,
Ælius (aussi bien est-ce à lui que l'histoire,
Déroulant à nos yeux les fastes de mémoire,
Des premiers Lamia fait remonter le nom),
 
Fils du vainqueur puissant qui sut par son courage
De la noble Formie asseoir les fondements,
Et dompter le Liris qui de ses flots dormants
Baigne de Marica le paisible rivage :
 
De leurs feuilles demain l'impétueux autan
Dépouillera les bois ; sur les grèves stériles
Les flots repousseront les algues inutiles,
Ou la corneille en vain prédirait l'ouragan.
 
Pour abriter ton bois n'attends pas la tempête :
Demain offre au Génie un pourceau de deux mois ;
Et quittant ses travaux que l'esclave à ta voix
S'enivre d'un vin pur et partage la fête.

 

XVIII — À Faune

Faune, dont l'amour suit les Nymphes fugitives,
De mon domaine viens féconder les coteaux ;
Veille, en te retirant, sur mes brebis craintives,
Veille sur mes tendres agneaux.
 
Sur ton antique autel un chevreau chaque année
Parmi des flots d'encens tombe, et, chère à Vénus,
Ma coupe généreuse et de fleurs couronnée
Verse les trésors de Bacchus.
 
Quand décembre nous rend ta fête solennelle,
Partout sur les gazons s'ébattent les troupeaux,
Partout le laboureur se repose et dételle
Les compagnons de ses travaux.
 
Le feuillage des bois s'agite en ta présence ;
Le loup vient se mêler aux agneaux enhardis ;
Le vigneron joyeux trois fois frappe en cadence
Les sillons qu'il avait maudits.

 

XIX — À Télèphe

O Télèphe, tu sais calculer les années
Qui de l'époque d'Inachus
Séparent le trépas du généreux Codrus ;
Tu peins les sanglantes journées
Où Pergame expira sous les fils d'Éacus ;
Mais à quel prix le vin s'achète,
Qui fait chauffer les bains, et contre les frimas
A quelle heure, en quelle retraite
Trouverai-je un abri, tu ne l'enseignes pas…
Versez pour la lune nouvelle,
Versez pour honorer l'augure Muréna,
Et qu'en cette nuit solennelle
Ou trois fois ou neuf fois dans la coupe ruisselle
La liqueur qu'un Dieu nous donna.
Si l'amant des neuf Sœurs, oubliant la sagesse,
Au cratère puise neuf fois,
Les Grâces, redoutant les combats et l'ivresse,
Nous disent : Bornez-vous à trois…
Mais quoi ! pour seconder un aimable délire,
Les flûtes ne résonnent pas !
Le hautbois suspendu se tait comme la lyre !
Quel charme a donc glacé vos bras ?
Vite effeuillez la rose, et que notre folie
Réveille l'envieux Lycus
Et la jeune beauté qu'en dépit d'Idalie
Hymen enchaîne au vieil Argus.

 

XX — À Pyrrhus  

(ode non traduite)

 

XXI — À son amphore

Contemporaine chérie,
Sainte Amphore à qui Bacchus
Autrefois donna la vie
Sous le consul Manlius :
Soit qu'en tes flancs tu recèles
Les jeux, le chagrin cuisant,
Le fol amour, les querelles,
Ou le sommeil bienfaisant ;
 
Dans ce beau jour sur ma table
Viens, quels que soient tes effets ;
De ton calès délectable
Viens humecter nos palais ;
Descends, Corvinus l'ordonne,
Des celliers où tu languis ;
Et de l'amant d'Érigone
Verse-nous les dons exquis.
 
De son austère doctrine
Socrate a nourri son cœur ;
Mais de son humeur chagrine
Ton nectar sera vainqueur :
Chez nos aïeux ta largesse
Plus d'une fois, nous dit-on,
Sut réchauffer la sagesse
Et la vertu de Caton.
 
Par toi maint esprit stérile
Doucement sollicité
S'échauffe et devient fertile,
Grâce à ta fécondité.
Tu soumets à ton empire
Les sages les plus, discrets,
Et dans leur joyeux délire
Tu divulgues leurs secrets.
 
Tu ramènes l'espérance
Dans le sein des affligés
Tu redonnes l'assurance
Aux pauvres découragés ;
Par toi leur front se relève,
Et des tyrans en fureur
Le diadème et le glaive
Pour eux n'ont plus de terreur.
 
Viens, ô reine de Cythère,
Égayer notre festin ;
Viens aussi, Grâce légère,
A tes sœurs donnant la main ;
Coulez, vins, coulez encore
A la clarté des flambeaux,
Jusqu'au moment où l'Aurore
Sortira du sein des eaux.

 

XXII — À Diane

Des monts et des forêts ô vierge tutélaire,
Déesse au triple nom, par qui l'épouse en pleurs
En t'invoquant trois fois au moment d'être mère,
Sent ranimer sa vie et finir ses douleurs:
 
Je viens t'offrir ce pin qui, sur mon toit rustique
Étend ses verts rameaux, et verra tous les ans
Immoler un pourceau qui de sa hure oblique,
Déjà prêt à frapper, aiguise en vain les dents.

 

XXIII — À Phidyle

Lorsque Phébé renaissante.
Apparaîtra dans les cieux,
Lève une main suppliante
Afin d'implorer tes Dieux :
Sur l'autel où l'encens fume,
Avec les épis des champs
Offre selon la coutume
Un porc engraissé de glands.
 
De l'Auster ainsi ta vigne
Ne craindra plus les poisons ;
Ainsi la rouille maligne
Épargnera tes moissons.
En vain l'Automne ennemie
Sévira sur les troupeaux :
La fatale épidémie
N'atteindra point tes chevreaux.
 
Parmi ces gras pâturages ;
Où les chênes et les pins
Couvrent de leurs frais ombrages
L'Algide et les monts Albains,
Laisse grandir la génisse
Qui du Flamine opulent
Dans un pompeux sacrifice
Teindra le couteau sanglant.
 
Ah! crois-moi : pour te défendre
Et conjurer les fléaux,
Qu'est-il besoin de répandre
Le sang de nombreux agneaux ?
Non, non ; le myrte fragile
Et le romarin sied mieux
Pour couronner, Ô Phidyle,
Le front de tes humbles Dieux.
 
Dès qu'une main chaste et pure
A touché les saints autels,
L'innocence est toujours sûre
D'attendrir les immortels.
Reste simple pour leur plaire :
L'orge et le sel pétillant
Fléchiront mieux leur colère
Qu'un sacrifice brillant.

 

XXIV — Contre les avares

De l'Arabe invaincu ta superbe opulence
Surpasserait en vain les fabuleux trésors ;
De l'une et l'autre mer soumise à ta puissance
Vainement tes palais envahiraient les bords :
 
Si, prête à t'enlacer dans sa mortelle étreinte,
La Parque au faîte altier fixe le clou fatal,
Tu ne peux dérober ni ton âme à la crainte,
Ni ta tête orgueilleuse au pouvoir infernal.
 
Ah ! dans leur vie errante, oui, plus heureux les Scythes
Traînant sur des chariots leurs mobiles maisons,
Et les Gètes parmi des guérets sans limites
Où Cérès fait mûrir de communes moissons !
 
Heureux pays où l'homme, au terme de l'année,
Quitte un sol épuisé pour des sillons nouveaux,
Où, quand du laboureur la tâche est terminée,
Un autre pour un an succède à ses travaux !
 
Là jamais on ne vit la marâtre emportée
Sur le faible orphelin lever un bras jaloux ;
Jamais dans son orgueil une femme dotée
N'osa de son amant menacer un époux.
 
La vertu des parents, l'horreur de l'adultère,
Voilà le seul trésor dont l'époux est épris ;
Et faillir au devoir est chez ce peuple austère
Un monstrueux forfait donna mort est le prix.
 
Des sanglantes fureurs de nos guerres civiles
Veux-tu, qui que tu sois, effacer les forfaits,
Et que ce noble titre : « Au Père de nos villes »,
Sur nos marbres gravé, consacre tes bienfaits ?
 
Ose enfin réfréner la licence indomptée,
Ose ; ainsi ta vertu vivra dans l'avenir :
Car présente on la hait ; mais, au ciel, remontée,
Nos regrets lui voueront un pieux souvenir.
 
Mais que sert de pousser des plaintes douloureuses
Si par le châtiment le mal n'est extirpé !
Où les mœurs ont failli, par des lois rigoureuses
Que sert que désormais le crime soit frappé ;
 
S'il faut que du marchand l'avarice insensée
De la zone torride affronte les climats,
Et ces champs engourdis sous la neige glacée
Dont l'Aquilon durcit les éternels amas ;
 
Si d'habiles nochers surmontent la tempête ;
Si l'indigence, en butte au mépris des humains,
Pour le fuir, à tout faire, à tout subir est prête,
Et de l'âpre vertu déserte les chemins ?
 
La foule nous attend : courons au Capitole ;
Portons, pour mériter ses applaudissements,
Ou dans les flots voisins plongeons cet or frivole,
Ces perles, ces rubis et ces vains diamants.
 
Ils ont fait nos malheurs : qu'un juste sacrifice
Des Romains convertis prouve les repentirs.
Hâtons-nous, il est temps ; d'une lâche avarice
Extirpons à jamais les funestes désirs.
 
Par de mâles travaux qu'une trempe nouvelle
Raffermisse les cœurs dans le luxe avilis ;
Quoi ! le jeune Romain sur un coursier chancelle !
La chasse briserait ses membres amollis !
 
Quoi ! les dés interdits par une loi sévère,
Quoi ! le cerceau du Grec a pour lui des attraits,
Cependant que la ruse et la fourbe d'un père
D'un hôte ou d'un client trahit les intérêts !
 
Mais tandis qu'il accroît sa coupable opulence
Que brûle d'engloutir un indigne héritier,
Inutiles efforts ! au sein de l'abondance
Il désire, et jamais son bonheur n'est entier.

 

XXV — Hymne à Bacchus

Bacchus, où veux-tu donc entraîner le poète
Rempli de ta divinité ?
Dans quels bois, dans quelle retraite
Par un esprit nouveau va-t-il être emporté ?
 
Dans quels antres lointains m'en irai-je redire
De César le nom glorieux ?
Quels rochers entendront ma lyre
L'introduire aux conseils du monarque des cieux ?
 
Je cède au Dieu qui m'appelle ;
Écoutez des chants sacrés
Que jamais bouche mortelle
Avant moi n'a proférés.
 
Ainsi qu'une Bacchante en sa veille s'étonne
Quand l'Hèbre à ses regards paraît au pied des monts,
Et la Thrace, et l'Hémus que la neige couronne,
Et ton peuple barbare et tes chœurs vagabonds :
 
Tel au fond d'un bois solitaire,
Aux bords des ruisseaux murmurants,
Épris de l'ombre et du mystère,
J'aime à porter mes pas errants.
 
Toi qui règnes sur les Ménades
Dont le bras vigoureux déracine les pins,
Désormais, ô roi des Naïades,
Je n'aurai que des chants immortels et divins.
 
Rien n'arrêtera mon audace :
Le péril même est attrayant
Quand on s'élance sur la trace
Du Dieu qui ceint son front du pampre verdoyant.

 

XXVI — À Vénus

De la danse encore naguères
Je partageais les doux ébats ;
Souvent tu m'as vu dans tes guerres
Livrer de glorieux combats.
Aujourd'hui, privé de mes charmes,
Vaincu du temps je rends les armes,
Mon luth a besoin de repos :
Je le suspends, pieux hommage,
A la gauche de ton image,
O Vénus, ô fille des flots.
 
Portez les torches enflammées,
Portez les arcs et les leviers
Terribles aux portes fermées
Par d'inexorables geôliers.
O reine dans Chypre adorée
Et dans Memphis où de Borée
Jamais ne sévit la rigueur,
Viens et, levant ton fouet terrible,
Frappe, et qu'à mes vœux insensible
Chloé reconnaisse un vainqueur.

 

XXVII — À Galatée

Qu'une louve fondant des monts de Lanuvie,
Du nocturne hibou que les lugubres chants,
Que de jeunes renards une mère suivie
Soient les présages des méchants ;
 
Pleine encor devant eux qu'une lice s'avance ;
Qu'au travers du chemin déroulant ses anneaux,
Soudain comme une flèche un noir serpent s'élance
Pour épouvanter leurs chevaux ! Mais un fidèle ami, quand je crains pour sa tête,
D'un corbeau vers l'aurore entendra les accents,
Avant que la corneille, annonçant la tempête,
Retourne aux marais croupissants.
 
Pars, Ô ma Galatée, à mon amour constante ;
Que le bonheur partout sourie à tes appas ;
Que le fatal pivert et la corneille errante
Ne retardent jamais tes pas.
 
Mais quoi ! l'Adriatique est féconde en naufrages ;
Le déclin d'Orion va soulever les flots ;
Souvent j'ai vu Zéphyre, enfantant les orages,
Tromper l'espoir des matelots.
 
De nos seuls ennemis que les fils et les femmes
Éprouvent les assauts du terrible ouragan,
Et les mugissements et le fracas des lames
Qu'aux écueils va briser l'autan.
 
Par un taureau perfide autrefois entraînée,
La blanche Europe ainsi maudit sa folle erreur ;
De monstres, de périls partout environnée
L'imprudente pâlit d'horreur.
 
La vierge qui tantôt des fleurs de la prairie
Aux Nymphes préparait un hommage pieux,
Ne voit plus dans la nuit que la mer en furie
Et les sombres flambeaux des cieux,
 
« Mon père ! » cria-t-elle en touchant au rivage
Où brillent des Crétois les puissantes cités ;
« Nom sacré que ta fille abandonne à l'outrage !
« Saints devoirs que j'ai désertés !
 
« D'où viens-je ? où suis-je ? hélas ! ô fille criminelle,
« C'est trop peu d'une mort pour payer ta rançon !
« Veillé-je ainsi pleurante ? ou la folie a-t-elle
« Égaré ma faible raison ?
 
« Un vain songe, alarmant ma pudeur innocente,
« Par la porte d'ivoire a-t-il fui de l'enfer ?
« Ne valait-il pas mieux cueillir la fleur naissante
«Que d'errer sur la vaste mer ?
 
« Si le ciel désormais livrait à ma colère,
« Ce monstrueux taureau qui causa mes malheurs,
« Le fer mutilerait ses cornes que naguère
« Mon fol amour ceignait de fleurs.
 
« Du foyer paternel j'ai fui sans retenue,
« Misérable ! et je tarde à descendre aux enfers !
« Dieux, si vous m'entendez, livrez, errante et nue,
« Europe aux monstres des déserts.
 
« Avant que le chagrin me sèche et me dévore,
« Et de mon front brillant fasse un objet d'horreur,
« Des tigres affamés puissé-je, belle encore,
« Assouvir bientôt la fureur !
 
« Entends la voix d'un père, et vengeant la nature
« Hâte-toi de mourir; attache à ces rameaux,
« Serre autour de ton cou ta fidèle ceinture
« Et finis ta honte et tes maux !
 
« Vois ces âpres rochers qui bordent le rivage ;
« La mort sur les écueils s'offre encore à ton choix :
« Lance-toi dans l'abîme, ou va dans l'esclavage
« Déshonorer le sang des rois.
 
« Va tourner les fuseaux, va, d'un maître barbare
« Concubine avilie, endurer tous les jours
«Les affronts mérités qu'une épouse prépare
« A tes adultères amours. »
 
Europe ainsi gémit : la reine de Cythère
Avec un ris malin contemple ses douleurs ;
Sur son arc détendu penché près de sa mère,
Amour se repaît de ses pleurs.
 
« Suspends, lui dit Vénus, ces fureurs inutiles :
« Calme-toi, ce taureau qui cause tes chagrins
« Va bientôt reparaître, et ses cornes fragiles
« Vont se briser entre tes mains.
 
« Du puissant Jupiter épouse préférée,
« Apaise tes sanglots et sois digne des cieux :
« De la terre bientôt la plus noble contrée
« Portera ton nom glorieux. »

 

XXVIII — À Lydé

Que ferai-je aujourd'hui pour honorer Neptune ?
D'un vieux Cécube ici par tes soins apporté
Je veux boire à longs traits : ta sagesse importune
Trop longtemps à mes vœux a déjà résisté.
 
Le jour baisse : crois-tu prolonger sa carrière,
Et suspendre le vol des coursiers de Phébus ?
Pourquoi dans le cellier retenir prisonnière
L'amphore que scella le consul Bibulus ?
 
Je veux chanter Neptune en mon joyeux délire,
Chanter la Néréide aux cheveux azurés ;
Puis après moi, Lydé, tu diras sur la lyre
Et Latone et Diane et ses traits assurés.
 
O reine de Paphos, de Gnide et de Cylhère,
Que des cygnes brillants emportent dans les cieux ;
O Nuit, qui des amours protèges le mystère,
Vous recevrez aussi nos hommages pieux.

 

XXIX — À Mécène

Noble postérité des rois de l'Étrurie,
Depuis longtemps, Mécène, ici mes soins pieux
Ont réservé pour toi les parfums de Syrie
Et la rose fleurie
Et l'amphore où vieillit un vin délicieux.
 
Point de retards, ami : pourquoi d'un œil avide
Contempler tous les jours Ésule et ses coteaux,
Et les remparts fondés par un fils parricide,
Et la vallée humide
Que du riant Tibur fécondent les ruisseaux.
 
Quitte enfin les soucis d'une pompe stérile
Et ce vaste palais qui se perd dans les cieux ;
Cesse enfin d'admirer le fracas de la ville
Et ce luxe inutile
Dont la vaine fumée importune les yeux.
 
Changer distrait le riche au sein de l'abondance ;
Et de simples repas, sous de pauvres réduits,
Sans lits, sans dais de pourpre et sans magnificence,
De la triste opulence
Déridèrent souvent le front chargé d'ennuis.
 
De son astre éclipsé, durant la nuit sereine,
Le père d'Andromède étale les splendeurs,
Tout s'embrase des feux que Procyon déchaîne,
Et le Lion ramène
Des soleils de l'été les mortelles ardeurs.
 
Le pâtre fatigué, la brebis languissante
De l'inculte Sylvain cherchent les bois aimés
Et le ruisseau limpide et son eau murmurante,
Mais par la brise errante
Ses bords silencieux ne sont plus ranimés.
 
A restaurer l'État tu consumes ta vie ;
De l'Indus impuissant tu soupçonnes les flots ;
Et du Scythe, épuisé par sa propre furie,
Pour ta chère patrie
Ton dévouement s'obstine à craindre les complots.
 
Aux regards indiscrets un voile salutaire,
Étendu par les Dieux, déroba l'avenir.
Le ciel rit des tourments du mortel téméraire
Qui, sondant ce mystère,
S'alarme pour des maux qu'il ne peut prévenir.
 
Aux soins du seul présent bornons notre existence.
L'avenir est un fleuve au cours capricieux :
Resserré dans son lit, calme et pur il s'avance,
Et dans la mer immense
Va confondre aujourd'hui ses flots silencieux ;
 
Mais bientôt les torrents gonflent son cours paisible ;
Les troncs déracinés, les troupeaux, les maisons,
Les rochers sont roulés dans son onde invincible,
Et son fracas horrible
Fait mugir les échos des forêts et des monts.
 
Vraiment maître de soi, vraiment libre le sage
Tous les jours se dira : « J'ai vécu ! Que des Dieux
« Le monarque absolu, faisant gronder l'orage,
« Sous un sombre nuage
« Nous dérobe demain l'astre brillant des cieux,
 
« Qu'il sème dans l'azur une clarté splendide,
« A ses lois le passé n'est plus assujetti :
« Le temps l'a dévoré dans sa fuite rapide,
« Et dans son gouffre avide
« Immuable il demeure à jamais englouti. »
 
La fortune insolente, en son humeur bizarre,
Se complaît dans le mal et rompt tous nos desseins :
Généreuse pour moi, pour les autres avare,
Tour à tour elle égare
Sur le front des mortels ses honneurs incertains.
 
Mon cœur avec plaisir accueillit sa présence,
Mais son brusque départ ne m'a point abattu ;
Et d'un manteau stoïque abritant ma constance,
J'épouse l'indigence
Qui m'apporte pour dot une austère vertu.
 
Qu'un pâle nautonnier, quand la sombre tempête
Ébranle son vaisseau par ses mugissements,
A l'aspect du danger tremble et, courbant la tête,
Dans son effroi s'apprête
A conjurer Neptune et ses flots écumants ;
 
De Chypre et de Sidon que son pieux hommage
A l'avare Océan dérobe les trésors :
Moi, sur un frêle esquif, à l'abri du naufrage,
J'atteindrai le rivage
Dont Castor et son frère ouvrent pour moi les ports.

 

XXX — Épilogue — À Melpomène

J'achève un monument à jamais glorieux ;
Le bronze même est moins solide,
Et la royale pyramide
S'élance moins haut vers les cieux.
Rien n'en peut renverser le faîte,
Rien, ni les pluvieux autans,
Ni les efforts de la tempête,
Ni les siècles sans nombre et la fuite du temps.
Le poète au sombre domaine
Tout entier ne descendra pas ;
Du favori de Melpomène
La plus noble moitié doit survivre au trépas.
Ma gloire avec les ans croîtra toujours nouvelle,
Tandis que la Vestale et le prêtre des Dieux,
Dans un recueillement pieux,
Graviront la roche éternelle.
Horace, dira-t-on, le premier dans ces lieux
Où l'Aufide en grondant roule son flot rapide,
Et dans cette contrée aride
Où sur d'agrestes fils des champs
Daunus étendit sa puissance,
Illustrant son humble naissance,
Au rythme éolien sut marier nos chants.
Tu le peux, désormais sois fière
De mon renom chez les Romains ;
Triomphe, ô Muse, et que tes mains
Du laurier d'Apollon ceignent ma tête altière.

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