I, 37
 
Maintenant ou jamais : buvons, frappons le sol
De nos pieds libérés. D’urgence, compagnons,
Installons les coussins des dieux,
Apprêtons des banquets dignes des Saliens.
 
C’était une impiété de tirer le Cécube
Des celliers ancestraux dans le temps qu’une reine,
Une folle, œuvrait à la ruine
Du Capitole et à la mort de notre empire
 
Avec tout un troupeau d’individus infâmes,
Malades contagieux, et ne se sentait plus
A force de tout espérer,
Enivrée qu’elle était des douceurs de Fortune.
 
Pour calmer son délire, un seul de ses vaisseaux
Put échapper aux flammes ; son esprit égaré
Par la liqueur maréotique,
Kaisar le ramena aux dures vérités
 
Quand, poussant sur les rames, il fondit sur sa proie
Qui volait loin de l’Italie, tel l’épervier
Sur la colombe, tel le chien de chasse
Sur le lièvre au milieu des neiges d’Hémonie :
 
Il voulait enchaîner, monstre élu du Destin,
Celle qui, recherchant un plus noble trépas,
Ne trembla pas devant le glaive
Ni ne fit voile vers de secrets rivages,
 
Mais trouva le courage de regarder en face
Son palais dévasté, et d’offrir son poignet
A la morsure des serpents
Pour absorber de tout son corps leur noir venin.
 
D’avoir choisi la mort redoublait sa fierté.
Elle ôtait ce plaisir aux cruelles liburnes
De la conduire, détrônée,
A l’orgueilleux triomphe : femme sans petitesse.

• TRADITION
Horace célèbre la victoire d’Actium, qui a marqué le triomphe de Rome et d’Auguste sur l’Egypte et Cléopâtre.
• OBJECTION
Le tribut d’admiration accordé à la reine à la fin du poème contraste maladroitement avec les insultes qui lui sont lancées dans les strophes précédentes.
• PROPOSITION
Ces insultes, le poète a trouvé le moyen de les diriger en réalité sur la tête du vainqueur.
• JUSTIFICATION
A lire vite, Horace déverse sur la reine un torrent d’immondices, qui vient se 
briser net au milieu du v. 21 sur l’expression fatale monstrum, point culminant 
du poème, son point de rupture aussi, puisque cette reine si haineusement vilipendée 
reçoit maintenant les plus magnifiques éloges. On se frotte les yeux devant une 
telle incohérence. Et l’on relit attentivement. On cherche la faille.
Et l’on finit par la détecter à l’endroit logique où elle devait être, c’est-à-dire 
à la jonction de ces deux plaques antagonistes du poème que sont les 20 premiers 
vers et les 12 derniers. Il y faut de bons yeux, car elle se cache sous la ponctuation 
forte que les éditeurs introduisent après fatale monstrum, analysé comme c.o.d. du 
verbe (« pour enchaîner ce monstre »). Mais comme le neutre monstrum peut 
difficilement être repris par le féminin quae, nous en ferons le sujet du verbe, en 
sous-entendant, chose courante en latin, eam devant quae : « le monstre veut 
enchaîner celle qui… ». Après tout, Cicéron traite bien César de hoc teras, 
« ce monstre » (Lettre 346 = Att. VIII, 9b, 2, 4). 
Et puis ce terrible coup porté contre 
le vainqueur d’Actium n’était-il pas ouvertement préparé par les comparaisons qui 
viennent d’être faites de lui à un épervier et à un chien de chasse, la sympathie naturelle 
se portant sur la colombe et le lièvre ?
Alors, tout bascule. La question du locuteur cesse de se poser : oui, c’est bien Horace 
qui s’exprime ici, mais s’il embouche le grossier clairon de la propagande officielle, 
c’est pour la parodier, l’exposer nue au ridicule public. Ainsi, chaque accusation portée 
par Octave contre la reine d’Egypte revient-elle en boomerang sur sa propre tête. 
La « reine folle » : approchons-nous un peu et nous découvrirons un rex, un roi, sous 
cette regina qui, paraît-il, menace le Capitole. De cette féminisation du personnage, les 
Odes nous offrent d’autres exemples, comme I, 16 ou III, 20 (en lionne gétule). Le portrait 
au vitriol brossé par la strophe 3 correspond fidèlement à ce que le décryptage des 
Odes nous a déjà appris sur ce despote ivre de lui-même, ivre de vin, ivre des 
douceurs de Fortuna (ebria, 12, en fort relief).
On se demandait, en lisant dans la strophe 4 que Cléopâtre n’avait échappé qu’à 
grand peine à l’incendie de sa flotte, comment Horace avait pu aussi impudemment 
tronquer la vérité historique, puisque chacun sait que la reine avait regagné les rivages 
égyptiens avec ses bateaux avant même le déclenchement de la bataille. Ayant maintenant 
compris que « l’esprit égaré » dont il s’agit n’est pas celui de la reine, mais d’Octave 
(le vin égyptien, la victoire sur l’Egypte, lui sera monté à la tête), on s’avise que celui-ci 
essuya coup sur coup deux sévères tempêtes lorsque, peu après Actium, une sédition de 
vétérans l’obligea à rentrer d’urgence en Italie (Suét. Vie d’Auguste, 17, 5 ; 
voir aussi 16, 6).
A quoi donc Horace lève-t-il sa coupe en ce jour solennel ? Certainement pas, comme 
on le pense, à la victoire du roi de Rome, ce « monstre fatal » ! Non, il boit à cet espoir 
de liberté (libero, 1) que la nouvelle de son naufrage avait fait renaître à Rome ; il boit 
au mâle courage de la reine d’Egypte, qui en s’infligeant la mort a triomphé de son 
vainqueur. Your agony is your triumph.