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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

I, 31
 
Que demande un poète au divin Apollon
Dédicacé ce jour ? Sa prière en versant
Le vin nouveau de la patère ?
Il n’envie ni les blés de la grasse Sardaigne,
 
Ni les nobles troupeaux de la Calabre en feu,
Ni les trésors de l’Inde, son or et son ivoire,
Ni les champs que ronge en silence
La rivière Liris en son paisible cours.
 
Qu’ils élaguent les ceps prestigieux de Calès,
Leurs heureux possesseurs ; que le riche marchand
Assèche en des calices d’or
Ces vins qu’il a payés par des parfums syriens,
 
Vraiment chéri des dieux, s’il peut voir et revoir
Trois ou quatre fois l’an les flots de l’Atlantique
Impunément ; je me nourris
De chicorée, d’olives et de mauves légères.
 
Dans un corps bien portant jouir de ce que j’ai,
Tel est mon vœu, fils de Latone, et plus que tout
Rester moi-même et ne pas vivre
Une vieillesse laide et privée de cithare.

• TRADITION

Horace compose cette prière à Apollon à l’occasion de la dédicace de son temple du Palatin le 9 octobre -28.

• OBJECTION

Ce temple fut inauguré en grande pompe par Auguste qui l’avait voué au dieu lors des guerres civiles. Pourquoi donc le poète n’a-t-il pas un mot pour flatter le prince, glorifier ses victoires, exalter sa piété, vanter la splendeur de son temple ?

• PROPOSITION

Horace snobe la cérémonie officielle, tant lui répugne l’appropriation du dieu de la poésie par un pouvoir politique quel qu’il soit.

• JUSTIFICATION

Le silence du poète sur cet événement hautement symbolique est d’autant plus vexant pour Auguste que l’emphase affectée de la première strophe laisse attendre quelque profération quasi prophétique qui s’élèverait à la hauteur de la glorieuse circonstance : le vocable uates, mis en relief par le rejet (v. 2), signifie proprement « poète inspiré », « prophète ».
Hélas, ces grandioses espérances sont fauchées net dès le troisième vers, avec cette négation qui ouvre la longue litanie, étirée jusqu’au v. 14, des hautains renoncements du poète. Sur le modèle tracé par la toute première des odes, où Horace opposait sa vocation propre de prêtre des Muses à des ambitions humaines plus communes, il récuse fermement ici la poursuite des richesses matérielles, non sans une pointe d’ironie à l’endroit de ces « chouchous des dieux » qui bravent les Océans pour boire dans des calices d’or ! L’évocation au v. 9 des prestigieux vignobles de Calès semble même viser nommément le second interlocuteur de l’ode I, 20 (prelo domitam Caleno… uites, 9-11 : premant Calena falce… uitem, ici v. 9-10), c’est-à-dire Auguste, ce fils de Fortuna (v. 11). On ne peut gagner sur les deux tableaux : aux uns la richesse (Fortuna), aux autres la cithare (cithara, 20).
Quant au vœu final, qu’Apollon daigne conserver son poète en bonne santé, il pourrait bien nous donner la clé de l’énigme. Ne serait-ce pas que, sous couvert de célébrer la dédicace du temple d’Apollon, le 9 octobre, Horace fête en réalité les Meditrinalia du 11 octobre, en l’honneur d’Apollon médecin, protestant ainsi à sa façon contre les empiètements progressifs du pouvoir personnel sur le calendrier romain traditionnel (dedicatum… Apollinem, au premier vers, pourrait même désigner une statue votive) ?
L’étude de l’ode suivante vérifiera cette hypothèse.

 
 
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