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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

I, 32
 
J’ai des ordres. Si jamais, libre sous l’ombrage,
Avec toi j’ai joué, ô Luth, inspire-moi,
Mais qui vive l’année, et bien plus que l’année,
Un chant latin,
 
O toi qu’inaugura le héros de Lesbos,
Ce farouche guerrier qui, entre deux combats,
Quand sur la plage humide il avait amarré
Sa nef fourbue,
 
Chantait Liber, les Muses, Vénus et cet enfant
Qui partout l’accompagne, et le jeune Lycus
Dont les cheveux de jais joliment s’harmonisent
A ses prunelles ;
 
O gloire de Phébus, Lyre chère aux banquets
De Jupiter lui-même, douceur dans nos épreuves,
Médecine de l’âme, à mon invocation
Sois favorable.

• TRADITION

Hymne à la Lyre, pour qu’elle lui inspire un chant latin.

• OBJECTION

On aimerait identifier ce « chant latin » en question.

• PROPOSITION

Le chant annoncé n’est autre que l’ode I, 21, qui, dans la première édition du Recueil, suivait I, 32. Il faut voir dans ce déplacement un précieux indice du remaniement entraîné dans l’architecture des livres I et II par l’insertion des cinq odes dénonciatrices du meurtre de Virgile.

• JUSTIFICATION

Le premier mot du poème, poscimur, le déclare d’emblée, Horace a été sollicité en haut lieu pour composer un hymne public en l’honneur d’Apollon. Information malencontreusement brouillée par la leçon poscimus (« nous réclamons »), préférée par d’aucuns, alors que le poscit qui ouvre I, 31 reçoit, on l’a vu, sa réponse interne, et qu’en ce cas poscimus serait plus que redondant.
Donc, le maître ordonne, et il va de soi que cet hymne public, il le veut à sa botte. Impossible certes de se dérober, mais lorsque l’on a à sa disposition toutes les ruses de l’écriture, n’est-on pas assez armé pour retourner de telles situations à son avantage ? Horace imagine donc un dispositif de trois poèmes : I, 31 où, par une superbe bravade, il précise ce que lui-même, en tant que poète, demande au dieu (poscit face à poscimur) ; I, 32 où il glorifie la lyre ; I, 21 où, obligé de prier officiellement pour le despote, il prie en réalité pour que celui-ci débarrasse une bonne fois Rome de sa présence et de son oppression.
Certes, l’actuelle disposition du livre I ne permet plus d’identifier immédiatement I, 21 comme le « chant latin » annoncé en I, 32, mais parmi les arguments qui plaident en cette faveur, il en est deux assez forts, le premier étant qu’il n’existe dans les livres I, II, III aucun autre hymne public à Apollon, le second qu’il serait logique qu’une pièce écrite en strophes asclépiades B fût (comme c’est le cas pour I, 6 et I, 15) couplée à une autre dans le même mètre, I, 23 en l’occurrence, ce qui se réalise en effet si l’on replace I, 21 en sa position d’origine (voir à ce sujet La mort de Virgile…, p. 27).
Observons enfin qu’une difficulté textuelle de I, 32 (v. 15 : medicumque, ou mihi cumque ?) trouve sa résolution pour peu que l’on comprenne que l’Apollon auquel Horace s’adresse ici comme dans la pièce précédente est celui des Meditrinalia, c’est-à-dire le dieu médecin, celui qui guérit (il faut donc lire medicumque), et en contrepartie peut, s’il le veut, comme en I, 21, répandre la peste.

 
 
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